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Michelet, l'incontournable historien français du XIXème S. a eu pas mal d'opinions et de phrases définitives, dictées martialement depuis son Paris, lorgnette par laquelle il observa la France. Parlant des juifs il écrivit qu'en Languedoc, "l'élément juif mêlé à l'élément arabe y était puissant" dans cette région que l'on "appelait la Judée de la France" selon lui ! Voyons donc cela....
LES JUIFS EN SEPTIMANIE et PROVENCE :
Il est prouvé qu'aux VII et VIIIèmes S. la région de Septimanie servit de refuge aux juifs opprimés dans l'Espagne wisigothique. C'est du VIIème S. que date la plus vieille inscription juive de France trouvée à Narbonne, elle est ornée d'un chandelier et porte en hébreu la phrase "Paix sur Israël". Mais ils sont là depuis bien plus longtemps : Le plus vieil objet prouvant leur présence sur le sol occitanien est une lampe à huile ornée de deux menorah (chandeliers à 7 branches) trouvé à Orgon (13) en 1967 et daté du Ier S. avant notre ère. Des siècles avant leur fuite d'Espagne, Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont cite un certain Gozelas, un ami juif et messager de Magnus Félix à qui il écrit en 473; Ce 'grand' Félix appartenait à l'illustre famille narbonnaise de ce nom, son ami juif étant un homme qu'il honorait d'une confiance spéciale, faisant de lui son courrier (porteur de lettres) habituel. Au VIème S. plusieurs conciles régionaux (Agde en 506, Narbonne en 589) règlent certaines questions juives en rapport avec les règlements chrétiens comme des prescriptions alimentaires ou le repos du dimanche... On peut donc dire que le judaïsme est bien implanté et depuis longtemps alors dans la région de la Provincia Narbonnaise bordant la Méditerranée. C'est particulièrement vrai pour la ville de Narbonne dès le Vème S.
Aux VII et VIIIème S. arriveront en Septimanie fuyant d'abord les persécutions wisigothes (convertis au christianisme romain en 589), puis les persécutions arabes, des juifs de la péninsule. Narbonne commence à devenir un lieu d'études judaïques dès le VIIIème S. La communauté de Carcassonne s'établit fin VIIIème - début IXème S. toujours suite à l'émigration espagnole. Celles de Toulouse et Lodève s'établiront au XIème S.
La condition des juifs à Narbonne sous les premiers carolingiens semble très favorable; la grande tolérance légendaire des populations du midi et de leurs seigneurs (et leur "paratge") explique la place que prirent les juifs dans la région : réfugiés d'Espagne ils vont bénéficier d'un régime d'exception d'au-delà les Pyrénées; ils furent après la reconquête carolingienne sur les arabes, les protégés de Charlemagne et de ses descendants (même s'il y eut bien un regain de violence envers eux mais modéré au IXème S.). Ils vont s'insérer progressivement dans la région, d'abord par le commerce international dans les villes (y compris dans l'intérieur et pas seulement dans les ports), prendront une place importante dans l'administration et la gestion des villes puis des seigneuries rurales (courtiers financiers, gestionnaires de finances locales, percepteurs) toutes communautés dont ils deviendront même "Bayles" (=maires) autant dans l'Aude que l'Hérault ou le Gard au XIIème S.
Encore au milieu du XIIème S. les persécutions arabes des Almohades font fuir cette fois les juifs andalous en Languedoc. C'est dans ce temps que s'ouvre la grande période de culture judaïque de Narbonne avec les Ibn Tibbon et les Kimihi. A Montpellier il en est de même pour les études médicales avec de grands savants médecins juifs; est aussi bien connue du grand Maïmonide la communauté de Lunel, Maïmonide dont les dominicains, en 1231, brûleront les écrits !
A Narbonne, au XIIème S. toujours, on sait qu'ils ont un hôpital et sont ~300; la communauté est alors dirigée par Kalonimos Ben Toderos, descendant d'une famille juive grecque et possédant de nombreux biens immobiliers narbonnais (voir page suivante). A cette époque la ville possède de nombreux grammairiens et lexicographes juifs venus d'Espagne, traducteurs de textes hébreux, savants participant souvent à des joutes et disputes judéo-chrétiennes dont la région a la tradition.
C'est aussi, c'est peu su, l'âge d'or de la poésie hébraïque en Espagne. En effet s'il y a bien lieu de noter l'influence au-delà des Pyrénées de la poésie arabe chez les troubadours quant aux thèmes, à la métrique ou à la musique, au chant, il faut tout autant noter celle des juifs qui, développée en Espagne aux XI-XIIème S. parviendra jusqu'en Provence aux XIII-XIVème S. avec des poètes comme Isaac de Malaucène (1208-1220), Joseph d'Orange (Ière moitié du XIIIème S.), Abraham de Béziers (2ème moitié du XIIIème S.), Isaac d'Aire (idem), Yeda'Ya le Nacré (dernier tiers du XIIIème S.), ou Kalonimos d'Arles plus tardivement (~1286 -1328).
Et puis il y a surtout le témoignage d'un Benjamin de Tudèle, rabbin et médecin espagnol qui voyagea dans le monde outre-pyrénéen entre 1160 et 1165. Il traversa le Languedoc et la Provence juives et en laissera trace dans son "livre des voyages" s'y émerveillant des communautés de Narbonne, Béziers, Montpellier, Vauvert et Lunel, Arles et Marseille. On a même là une sorte de cartographie médiévale méridionale autant physique et religieuse qu'économique.
Et c'est au milieu de ce XIIème S. qu'est fixée par écrit la fameuse Kabbale par Isaac l'Aveugle, surnommé "père" de cette connaissance mystique à Posquières. C'est probablement à la même époque qu'il y a pu y avoir des liens d'influence entre juifs kabbalistes et cathares comme on le verra dans la partie moyen-âge central.
La croisade albigeoise qui suivra au XIIIème S. aura de forts retentissements sur cette "pax occitana" et les juifs devront, à l'issue malheureuse de celle-ci, quitter la terre devenue royale et française (expulsion de 1306) pour se réfugier en Provence puis, dans un 2ème temps, chercher protection auprès des papes, dans le Comtat Venaissin (territoire des Etats Pontificaux jusqu'à la Révolution) après que la Provence soit elle aussi devenue française et royale en 1482.