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Des relations comme des influences évoquant des similitudes ont été démontrées par des auteurs du XIIIème S. entre la nouvelle kabbale juive mise en oeuvre dans le midi et la doctrine albigeoise, cathare qui se développait au même endroit dans le même temps. Le rabbin Asher Ben David écrit par exemple à propos des premiers kabbalistes : "Ils s'imaginent dans leur cœur qu'ils croient en deux principes" ; le moine espagnol Luc de Tuy pourra lui écrire, au milieu du XIIIème S., à propos cette fois des cathares :"Les hérétiques simulent perfidement les juifs", le terme de 'perfide' pris pour désigner les juifs se référant à la liturgie catholique de la semaine sainte où une prière demandait à Dieu la conversion des 'perfides juifs' car ils voulurent la mort de Jésus. Chez Abraham Aboulafia se trouvent également les mêmes exigences de haute moralité et de fermeté de caractère lorsqu'il veut bien initier des disciples juifs à sa kabbale que celles montrées chez les parfaits cathares. La tendance à l'ascétisme fut très poussée chez lui comme cela était le cas chez les bonshommes et comme on le voit aussi dans d'autres groupes juifs du XIIème S.
Un thème se trouvant dans les commentaires d'Aboulafia comme dans les écrits cathares qui nous sont parvenus est très important c'est celui de la réincarnation expliquée par des mythes. Le texte juif concernant ce thème est contenu dans une méthode d'interprétation de la Thorah, celui des cathares est contenu dans une glose du Pater Noster cathare. Les deux explications décrivent ce qu'est l'Etre par le développement en sept étapes (sept voies chez le juif, sept substances chez le cathare) de la conscience de l'Etre. Les deux contiennent une ontologie comparable, une véritable science de l'Etre. Il est certain que l'étude de la Thorah pour un juif du moyen-âge se passait dans de mêmes conditions d'ascétisme que l'étude de l'Etre chez les cathares. Le monachisme chrétien peut être tout à fait comparé alors à ces ascètes juifs et parfaits cathares car il procède du même détachement volontaire du monde pour atteindre un savoir incomparable, celui de Dieu par l'étude approfondie des textes bibliques. D'autres mouvements ascétiques ont dans le passé antique suivi la même voie comme celui des Abeley Sion (ceux qui portent le deuil de Sion, de Jérusalem), les cathares citent d'ailleurs le Psaume 137 , "....et nous pleurâmes au souvenir de Sion"; un exposé d'une réunion de cathares à Arques (11) en 1300 précise que les esprits du ciel sont tristes et affligés sur terre, ce qui correspond exactement à "ceux qui font le deuil de Sion"; l'un des derniers parfaits cathares de l'histoire Pierre Maury, dans un interrogatoire inquisitorial conduit par Jacques Fournier (futur pape!) se réfère explicitement à Sion.
Un autre groupe ascétique qui peut être comparé aux cathares et aux derniers cités est celui des Qaraïtes; dans un commentaire des petits prophètes bibliques, ces derniers désignaient les pauvres ou les humbles comme étant des parfaits et 'ceux qui font le deuil de Sion'. Toutefois il faut savoir que ces Qaraïtes ont hérité d'une partie de la littérature des Esséniens, on ne peut s'étonner de retrouver chez eux les mêmes termes exprimant les mêmes idées: une preuve, celle fournie par le rouleau des Psaumes de la grotte n°11 de Qumran évoquant la perte de Sion et l'espoir de la retrouver; ce manuscrit décrit aussi la lutte menée par les enfants d'Israël pour reconquérir Sion contre les ennemis dans et hors d'Israël. Il montre tout à fait les points forts d'un scénario comparable à celui que donne Pierre Maury dans sa déposition citée plus haut.
D'OU VIENNENT ET COMMENT SE SONT TRANSMISES LES IDEES CATHARES ? :
Il est courant de lire que ce sont les sectes anciennes pauliciennes ou bogomiles qui ont permis aux cathares de se forger leur doctrine. Il y aurait eu donc une continuité entre le gnosticisme, le manichéisme des époques antiques et le néo-manichéisme médiéval. Pourtant à la lumière de ce qui vient d'être écrit, la filiation avec les Qaraïtes par exemple écourterait ces origines. Ils eurent peut-être une influence dans les régions qui furent cathares car on en connait des adeptes dès le Xème S. en Espagne; en effet les missionnaires qaraïtes ont transporté leur enseignement à travers l'Europe et sous l'impulsion de Ibn-Al-Tarras ils se sont vraiment implanté dans la péninsule ibérique au XIIème S. Il est attesté que ces juifs dits Bnei Hamiqra possédaient une partie de la littérature essénienne et en seraient même les descendants. Pourquoi de même vouloir faire transiter ces idées par les Balkans, chez les bogomiles et ne pas émettre l'idée que le gnosticisme n'ait pas pu se maintenir en Occident plus ou moins clandestinement; dans l'ambiance de libéralisme doctrinal qui caractérise, on l'a vu, le Languedoc roman il se peut fort que rabbins et parfaits cathares aient pu se communiquer leurs livres et travaux, aient discuté sur des sujets doctrinaux et même éventuellement aient pu s'accorder sur certains points.
Pour terminer sur ces parcelles de rapprochement juifs - cathares il faut aussi dire un mot sur la symbolique et la terminologie gnostique dont l'usage est similaire chez les kabbalistes du XIIème S. comme elle l'était déjà chez les juifs des premiers siècles de notre ère et comme elle l'est chez les cathares. Certains thèmes gnostiques du Sépher Ha Bahir se trouvent aussi dans les mythes cathares influencés par le gnosticisme. Ainsi ce gnosticisme qui fut combattu et apparemment ruiné dans l'église des premiers siècles aurait-il survécu secrètement dans les synagogues et aurait-il ressurgi par la kabbale dans la doctrine cathare. L'essai de comparaison des mythes identifiables effectué par Shulamith Shahar dans le Sepher Ha Bahir avec les mythes cathares indique bien des ressemblances, qui si elles ne sont pas fortuites, sont l'expression de motifs proches dans le cadre des manières de penser. Finalement treize siècles après la période apostolique des premiers chrétiens, on retrouve les mêmes préoccupations chez les kabbalistes juifs et les cathares, que celles qu'eurent les juifs, les primo-chrétiens, judéo-chrétiens et les gnostiques. Quant à savoir s'il y a eu dialogue secret permanent ou reprise de dialogue après une longue interruption entre ces courants, la question est toujours pertinente car toujours en attente de réponse(s).
Y A T-IL EU DES RELATIONS ENTRE CATHARES ET TEMPLIERS ? :
Les Templiers furent très présents dans la région comme dans tout le royaume. Cette 3ème force qui avait en mains sous couvert de religion mais l'épée au côté, l'économie, agricole notamment et des moyens financiers a t-elle fréquenté les cathares ? La question mérite d'être posée mais il n'est pas facile d'y répondre. Durant le XIXème S. ce rapprochement a semblé évident du moins du point de vue spirituel mais sans pour autant avoir pu être alors démontré.
- Sur le plan spirituel les Templiers avaient notamment en commun avec les cathares le docétisme. Cette doctrine gnostique commune à toutes les hérésies du moyen-âge se rattache au manichéisme qui professe que le corps matériel est un obstacle à l'expression de la spiritualité. La doctrine consiste à dire que le Christ n'eut pas de corps au sens humain du terme. Emanation de Dieu il ne pouvait mourir, de plus sur une croix. Fils de Dieu il ne pouvait avoir qu'une simple apparence humaine. La croix n'est qu'un objet de souffrance humaine et le Christ n'y est pas mort crucifié, c'est un autre, véritablement humain, qui a pris sa place : Simon de Cyrène. Il n'est "que" remonté auprès de Dieu, duquel il émane et qui l'avait envoyé sur terre. La croix ne peut être vénérée. Enfin la vision dualiste du monde, des deux principes, l'un bon l'autre mauvais, coéternels en puissance se partageant le monde chez les uns comme chez les autres correspondent à la Lumière et aux Ténèbres, le 1er est spirituel quand le 2ème est matériel. Les Templiers eurent pleinement conscience de cette lutte perpétuelle entre le blanc et le noir et cela justifiera leur recherche permanente de la meilleure façon d'opérer les rééquilibrages nécessaires. Leur croix rouge pattée n'étant en rien une croix latine : les branches en sont toujours égales tandis que celle de l'église représente effectivement l'objet de supplice, la branche verticale étant plus longue que la transversale.
- Sur le plan matériel on a l'exemple de la commanderie templière de Douzens (11) dont parle J. Duvernoy, où fut découvert une cassette remplie de reconnaissances de dettes à l'égard de cathares. Mais il faut aller en Catalogne roussillonnaise, à la commanderie du Mas-Deu près de Perpignan pour avoir des actes comme donations ou affiliations prouvant que des liens concrets et spirituels existèrent entre ces templiers et des familles cathares. De nombreux membres de ces familles sont même des bienfaiteurs du lieu; le seigneur du Fenouillèdes (comté occitan), Pierre de Fenouillet, cathare, fut condamné par l'inquisition (procès de 1262-63) bien après sa mort, et ses restes déterrés et brûlés. Dans la liste des commandeurs et peu avant la répression inquisitoriale on a le nom de Guillem Amell aussi dénommé Guillelmi Amelli, Amilli, Amelio : il est mentionné dès septembre 1199; venant de la commanderie de Barbera où il est en 1198, il sera ensuite rapidement à la tête de celle de Gardeny de 1201 à 1203 puis à celle de Graneva puis Barbera à nouveau en 1204 et enfin celle de Novillas en 1206.
MAIS QU'EST-CE ENFIN QUE LE CATHARISME et QUEL EST SON POIDS DANS L'HISTOIRE ? :
C'est un christianisme radicalement différent de l'officiel car c'est un christianisme dualiste. Il y a chez les cathares une distinction fondamentale entre le Bien et le Mal; pour eux seul compte l'Esprit, Dieu qui est bon, et le Royaume des Cieux est purement spirituel. Le Mal posé d'emblée comme problème ne peut avoir pour origine un Dieu bon, parfait par définition. Ce Dieu bon a créé les âmes, mais leur enveloppe charnelle est l'œuvre d'un mauvais démiurge qui a aussi créé tout ce qui est matière sur la terre. C'est la nature terrestre qui est l'Enfer, inutile d'aller le chercher ailleurs. Et le but du cathare sera de libérer son âme, prisonnière de la matière, par de multiples réincarnations, afin de pouvoir lui faire espérer réintégrer le Royaume Divin. Un cathare croît donc en la transmigration des âmes, ceci contribuant à donner un caractère social à leur religion: égalité entre l'homme et la femme dont cette différence n'est qu'une enveloppe, une apparence, de même pas de différence entre le seigneur et le pauvre type suant sur ses terres. De même encore en ce qui concerne la figure de Jésus qui n'a pour eux seulement qu'une "apparence humaine", non pour eux il n'a pas souffert et n'est pas mort sur la croix (il n'acceptèrent pas ce symbole de souffrance et de mort, ce symbole du Mal). Jésus est un pur Esprit envoyé par le Dieu bon sur Terre pour sauver les âmes des hommes. Seuls parmi eux, les membres du clergé, hommes ou femmes, peuvent espérer le Salut de leur âme en échappant au cycle des réincarnations. Pour cela ils se soumettent volontairement à des règles de vie très strictes : refus de la violence, pas de relations sexuelles, pas de consommation de viande et de produits des animaux, pas de mensonges ni de serments. Insérés dans la société civile, ils y étudient et y travaillent (souvent comme bergers ou tisserands), ils ne perçoivent donc pas d'impôts religieux et vivent simplement. Enfin ils préfèrent mourir plutôt que renier leur foi.
On a vu dans la 1ère partie de cette histoire religieuse que le catharisme apparait en Europe Occidentale peu après l'an Mille; il est censé disparaitre après le 1er quart du XIVème S; le dernier cathare brûlé étant selon la tradition Bélibaste, en 1325, à Villerouge-Termenès (11) mais on a la trace sporadique de quelques procès au moins jusqu'au milieu de ce siècle. C'est donc une histoire de trois cents cinquante ans au moins. On a vu aussi que le catharisme correspond a des unités de temps comme de lieu, ayant pas mal de similitudes avec d'autres courants religieux, notamment juifs. Le ciment de cette unité est à voir aussi dans la manière de gouverner des seigneurs du midi, notamment du Comte de Toulouse et de ses féaux régionaux, le comté languedocien étant par ailleurs en étendue, je le rappelle, l'un des plus grands de France. Il y règne en effet une tolérance assez rare en ces temps-là, notamment religieuse, l'univers harmonieux de la société est rythmé par l'amour courtois et la belle philosophie chevaleresque, chanté par les troubadours en langue d'oc, la langue romane héritée des temps gallo-romains... Tout cela sera mis à terre par pas moins de deux croisades successives, dirigées contre le catharisme, une déviation impossible à juguler par la seule prédication pour l'Eglise, une hérésie à pourfendre par le glaive royal qui y trouvera aussi son compte, par le bûcher, la prison et diverses peines vexatoires avec l'inquisition papale. L'Eglise de Rome pourra parader à nouveau sur le Midi après avoir revu son maillage hiérarchique par la création de nouveaux évêchés, élever de véritables forteresses de la Foi Officielle comme l'incroyable cathédrale d'Albi, parsemant la campagne de croix triomphantes sur les hauteurs pour être visibles de loin et rappeler à tous que l'église entend remettre la main sur toutes les consciences des occitans et étouffer leur liberté en matière de religion; tout comme le Roi de France pourra enfin mettre au pas la province du Languedoc, y encadrer les libertés communales et individuelles (bien que les pays méridionaux continuent à vivre selon le Droit Ecrit hérité des romains, les régions non-occitanes au nord de la Loire étant réputées pays de Droit Coutumier non écrit), y installer ses sbires seigneuriaux et fonctionnaires royaux administrant les finances la justice ou la police et ainsi les uns comme les autres pourront chacun en leurs domaines piller durablement la région, en tous cas s'y installer jusqu'à nos jours; les rois pas plus que les révolutions successives qui ont occupé de la fin du XVIIIème S. à la fin du suivant le pays, toutes venant du nord, les républiques successives du XXème S. toutes plus jacobines ne remettront jamais et surtout pas en cause cet état de fait: La France triomphante est Une et Indivisible, le centralisme jacobin et parisien parade toujours, on confond allègrement démocratie et république, la soit-disant décentralisation n'étant qu'un leurre administratif, et tout cela depuis ces huit derniers siècles malheureux pour la liberté et la culture occitane, languedocienne en particulier, peu importe le régime.