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La page précédente vous conte la légende très connue au Moyen-Âge d'Amis et Amile. J'y parle en introduction de ce curieux nom Amile; on y voit qu'il est l'une des premières formes en langue française pour le latin Aemilius via le roman Amelius, Amilius et un nom masculin. Le personnage miraculé ici est une femme, le nom Amile n'est donc pas encore très fixé sur le genre, on peut y voir une forme très ancienne pour Amélie ou Emilie qui n'a pas perduré, il en est de même chez les hommes d'ailleurs. Précision concernant la date de son (rare) emploi : le début du XIVème S. et la région : l'Ile-de-France. C'est dans le récit des Miracles opérés par Louis IX, rare roi de France saint, mis sur les autels assez rapidement par l'Eglise Romaine pour sa piété sans doute mais surtout pour les innombrables services qu'il rendit à l'église, notamment son action efficace dans l'éradication du catharisme, que se trouve le récit de la guérison miraculeuse de cette femme. Inutile de préciser que ce n'est pas un saint très honoré dans le sud de la France, les commémorations nationales prévues pour fêter le millénaire de sa naissance en 2014 ont posé d'ailleurs quelques problèmes en Languedoc où il est loin encore d'être là en "odeur de sainteté", il n'y sera même pas évoqué tout simplement.
Amile est originaire de Grande-Bretagne (ce qui peut expliquer également la forme de son nom), elle vient habiter Paris vers 1240 et s'y marie. En 1271 ou 1272 un accident de la vie va tout déclencher. Elle va se paralyser brutalement alors qu'elle s'était levée en pleine nuit pour donner à boire à l'un de ses enfants. La voilà brusquement de se servir de tout le côté gauche de son corps par ce que l'on peut diagnostiquer de nos jours comme étant un AVC. Quelques temps plus tard va apparaitre sur son aîne, du même côté gauche, une grosseur; cette grosseur se transforme, devient douloureuse et finalement c'est une plaie ouverte, large et malodorante, une sorte de gangrène s'était installée.
Et cela va durer plusieurs mois sans espoir de guérison en ce temps-là; après trois ou quatre mois voilà que son mari l'abandonne, "par ennui" nous dit le chroniqueur, Guillaume de St Pathus, "en dehors de toute frustration ou de toute irritation". Il confirme cet éloignement : "il quitta Paris, et donc n'assista pas son épouse". Amile devint si nécessiteuse qu'elle fut obligée de boitiller sur une béquille jusqu'à l'église la plus proche pour y mendier, demandant l'aumône auprès des paroissiens de son quartier. Cela lui causa bien entendu de grandes souffrances supplémentaires et la mit en danger car, comme elle n'avait plus aucune sensation dans le pied gauche, il ne lui restait plus qu'à se traîner sur le sol. Et un jour dans la rue un morceau de verre lui perça le pied, elle ne sentit rien; heureusement pour elle un barbier intervint dans sa chair pour retirer cet objet coupant.
Huit mois plus tard environ, Amile décida malgré le calvaire que cela allait représenter pour elle, d'aller implorer le dernier roi défunt qui était déjà dans cet rumeur d' "odeur de sainteté" et qui opérait parait-il des miracles; son tombeau se trouvait comme ceux de ses prédécesseurs dans la Basilique de St Denis, la nécropole des rois de France. Elle partit donc prier Louis IX de bien vouloir intercéder auprès de Dieu pour sa guérison. Il semble que son frère l'accompagna dans ce pèlerinage. Et il semble aussi que son mari ne soit pas complètement étranger à la scène en fin de compte : mari et frère ont visité Amile durant les tous premiers moments qu'elle passe à St Denis; de plus lorsqu'ils entendent dire qu'elle avait été miraculeusement guérie, ils vinrent encore la voir. Elle était déjà sur la route du retour lorsqu'ils la virent, tant et si bien qu'ils rentrèrent ensemble à Paris nous dit la relation du miracle.
On peut penser que le mari ait quitté sa femme Amile pour chercher du travail tout simplement et non pour abandonner celle-ci à son triste sort, mais le miracle n'en eut ainsi que plus de valeur sans doute. De même l'aumône demandée semble courante en ces temps-là, le lien avec la maladie n'étant pas exclusif pour le sort de la malheureuse.
Un mot enfin sur l'auteur: Guillaume de St Pathus est un frère franciscain, confesseur de l'épouse de Louis IX, la reine Marguerite; il est donc bien placé dans tous les sens du terme pour écrire ce livre qui recense les miracles de St Louis et il le fait très tôt après sa mort (1270) et sa sanctification (1297), vers 1303. Il s'agit ici du miracle 52 de cette recension. Ce proche du roi-saint lui-même frère franciscain a tout intérêt de propager par ce livre les miracles illustrant les mérites de son roi et de son frère en Christ, suite aux recensions plus formelles faites pour le procès de sanctification.
(=> "Miracles de Mgr St Louis" par Guillaume de St Pathus, édition de Percival & B. Fay; Champion, Paris, 1931. "Le petit peuple dans l'Occident Médiéval ...." P. Boglioni, R. Delort & Cl. Gauvard; Publ. de la Sorbonne, Paris, 2002).