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Italien de naissance, mort en 1529 à Paris, en laissant son oeuvre maîtresse inachevée; il arrive à Paris en 1483 pour y étudier la théologie. Il trouvera un protecteur en la personne du cardinal Charles de Bourbon et devient Chanoine de la cathédrale N-Dame de Paris (où d'ailleurs il sera enterré dans la croisée nord). Sur les conseils donnés au roi de France par l'évêque Etienne Poncher, il va devenir l'historien royal : sans doute avant le 15 Mai 1489, Charles VIII lui attribue une pension officielle pour cette charge, pension continuée par son successeur Louis XII.
- Comment cet italien devint-il le premier historien français de son époque ? Le grand historien Augustin Thierry nous l'explique. L'expédition que mena Charles VIII en Italie fit connaître en France le grand mouvement de la Renaissance (études par les recherches, imitation des écrits des anciens de l'Antiquité). On apprit ainsi qu'il y avait une nouvelle manière d'écrire l'histoire, bien différente des chroniques et des romans du moyen-âge, et propre à célébrer les grands exploits des gouvernements des princes. On l'employa pour la 1ère fois, mais maladroitement dans les récits des campagnes de ce roi. Puis Louis XII, son successeur, prît ainsi goût aux arts venant d'Italie, et voulut avoir une Histoire de France à la manière nouvelle; il demanda qu'on lui envoya d'Italie un historien capable d'assurer cette charge. Ce fut Paulus Aemilius qui fut choisi et il devint ce "faiseur d'Histoire", ce "Gallis condimus historias" pour les français. Et ayant eu à sa disposition tous les 'monuments' existants (documents originaux) se réduisant pour les parties anciennes aux Grandes Chroniques de St Denis, il en extraira le seul nécessaire avec un sens juste et un fin discernement pour en composer, avec un esprit libéré des préjugés nés avec le temps, un Résumé de l'Histoire de France; un ouvrage remarquable par sa sagesse, sa clarté et son élégance dans le récit.
- Vers 1516-1518, après vingt ans de travail pendant lesquels il écrit sur le modèle des anciens auteurs antiques et en se retirant au Collège de Navarre, il publie enfin les quatre premiers Livres de son 'Histoire de France' sous le titre latin de 'De Rebus Gestis Francorum usque ad. annum 1488' (Histoire de France jusqu'à l'année 1488), à Paris chez J. Bade. Une histoire de la monarchie française qui commence par des origines assez mythiques avec Pharamond et plus officiellement avec Clodion le Chevelu et qui devait aller jusqu'au temps de Charles VIII. Deux autres Livres compléteront cette première livraison dès 1519 chez le même éditeur. Toutefois le travail complet comprenant dix livres ne sera publié que dix ans après sa mort, en 1539 (à Paris chez M. de Vascosan) avec le dernier Livre complété par un autre historien italien après son décès, Daniele Zavarizzi, lui aussi de Vérone, et que l'on dit de sa parenté.
Il jouit de la gloire d'avoir le premier débrouillé le chaos de notre vieille histoire, défriché ses champs incultes même si elle a beaucoup de défauts, un style pur malgré qu'il soit laconique, souvent obscur et embarrassé, trop de harangues et trop (encore) de fables selon une critique très postérieure à son temps. Effectivement il eut à surmonter de grandes difficultés notamment pour ce qui concerne les datations; l'exemple souvent donné est celui d'un mystérieux Jean des Temps, le mal nommé ! et pourtant un nom prédestiné, que l'on essaie de situer, comme tous les anciens, suivant les règnes des rois sous lesquels il aurait vécu. Et des impossibilités physiques empêchaient une solution raisonnable : cet homme extraordinaire aurait vécu selon quelques uns pas moins de 361 ans ! puis avec d'autres considérations 161 ans (né ~978, il serait mort en 1139) mais cela fait beaucoup encore ! Il sera le 1er à l'identifier d'abord comme s'appelant en vérité Jean d'Etampes (ah! l'orthographe française qui joue encore des tours) et à proposer une solution plus satisfaisante même s'il l'agrémente d'un commentaire sur l'âge qu'il attribue à cet homme dont il dit qu'il fut en quelque sorte béni de Dieu, possédant une "virtus" que l'on peut traduire ici par prodige, prodige de la nature : Il le fait naitre sous Charles de Basse Lorraine, compétiteur malheureux de Hugues Capet (couronné en 988) et le fait mourir sous un Conrad roi de Germanie, mais Conrad I (roi de 1027 à 1039), donc avant 1039 (et non Conrad II roi de 1138 à 1152) et là il ôte 100ans à ce phénomène qui, du coup n'en est plus un. Voilà enfin un homme qui aurait vécu environ 55 ou 60 ans, ce qui est pas mal pour l'époque (d'où cette virtus somme toute ordinaire) mais parfaitement possible.
- Voici comment Augustin Thierry au XIXème S., en tant qu'historien moderne, juge ce considérable travail de réécriture selon les canons de la Renaissance : L'imagination de l'auteur est tellement familiarisée avec les hommes et les idées de l'Antiquité que, sans effort apparent il donne la couleur antique à tout ce qui passe sous sa plume. Les intrigues par exemple sont du genre de celles que César développe dans la Guerre des Gaules. Comme un orateur du forum tout messager goth ou franc fait ses discours en trois parties : exorde, confirmation, péroraison. Lorsqu'on passe des sources à cet ouvrage si parfait on a une singulière impression : tous les personnages y sont taillés sur le même patron. Pas de barbarie ou de violence, tout prend un air de civilisation, mesure et dignité. Rien n'est obscur ou extravagant et tout trait pouvant nuire au tableau est écarté. ...La méthode consiste à ne présenter les actions que sous leur côté le plus logique de façon que leur narration satisfasse les sujets les plus réfléchis. Les sujets y sont refaits en raisonnables sinon en beaux. Paulus Aemilius n'hésite pas à prêter certains discours jamais prononcés. Là est le principal reproche fait à Paul Emile.... Cette histoire n'eut pas un succès populaire car non pas qu'elle fut en latin (il y eut tôt des traductions) mais cet arrangement des faits sans aucune pâture ne pouvait frapper l'imagination des masses : sans couleur locale, les chroniques précédentes étaient au moins un peu poétiques, on pouvait y faire connaissance avec les personnages, qui y prenaient un air de vie. ce qui est beaucoup moins le cas avec la narration de Paul Emile. Mais au XVIème S. ce genre convient bien aux savants et au XVIIème sa réputation s'agrandit et l'on se sert du cadre de son histoire pour briser définitivement le vieux moule des Chroniques de St Denis. C'est grâce à lui que Mezerai prit l'exemple d'une narration plus suivie sans division par chapitres et articles.
- Son oeuvre magistrale reste celle du premier historien français et pour son siècle elle demeure une référence pour l'histoire du XVème S. Ce modèle pour l'époque, fut souvent réimprimé et même traduit dès ce XVIème S., notamment en 1581 par Frédéric Morel, imprimeur du roi sous cette fois le titre français de 'Histoire des faicts, gestes & conquestes des Roys, princes, seigneurs & peuple de France, descripte en X livres, composés en latin par Paul Emile Véronois & traduite par Jean Regnart", une édition au dire des bibliophiles remarquable, précédée d'une épître dédicatoire de Morel à Henri III (on n'est jamais trop sujet du roi), et donc magnifiquement imprimée. Selon le Dictionnaire Historique & Critique de Bayle (T. VI Ed. Desoer Paris 1820) les autres rééditions furent réalisées en 1539, 1544, 1550, 1555, 1566, 1576 (toutes chez Vasconsan) et encore en 1601.
-Dans l'une des traductions, celle de Simon de Monthiers imprimée en 1556, on peut lire par ex. qu'il fut surnommé rapidement le "Tite-Live de France" (envoi en préface); dans la traduction elle-même, on peut lire l'une des premières mentions et définition moderne du qualificatif géographique et culturel d'Occitanie. Ce passage relatif aux prémices de l'époque carolingienne dans la région de Narbonne dit en effet : ...cette contrée des Visigotz, qui se nommayent Gothicani, & maintenant Ocitani, c'est à dire Languedo, vaincus par les François, qui encores ne les avoyent sceu réduire du tout en leur pouvoir. relevant là ce nom inemployé depuis sans doute le moyen-âge, simple exemple pour lequel Paul Emile fait preuve de connaissances certaines.
Cette histoire rivalisera en popularité avec notamment la "Compendium de origine & gestis Francorum" de Robert Gaguin publiée en 1495 ou avec une histoire de N. Gilles. On pense que le grand humaniste Erasme a probablement rencontré Paulus Aemilius lorsqu'il se rendit à Paris entre 1495 & 1500. De plus Caminadus lui envoya des nouvelles de lui tout comme Andrelini & Gaguin (Ep 136; Ep désigne une lettre répertoriée des correspondants du grand homme) et en 1517, Erasme désireux d'anticiper la publication de l'histoire d'Aemilius (Ep. 534) réussit à obtenir une copie des premiers livres en Janvier 1518 (Ep. 764). Il louait dans ses lettres la science et la piété d'Aemile (Ep. 719, 928) ainsi que dans le 'Ciceronianus' (cf ASD I.2, 668). Son histoire plut beaucoup aussi à Juste-Lippse, humaniste flamand du même siècle (2ème moitié).
(=> pour ce § "Histoire de l'historiographie moderne" E. Fueter Paris 1914 ; "Contemporaries of Erasmus" Vol. 1 à 3 P. G. Bietenholz, Th. Brian 1985, Univ. of Toronto).
- Un exemple de sa notoriété nous est fourni par Montaigne, le grand penseur de la Renaissance, dans ses "Essais". On y trouve des réminiscences de l'historien par exemple pour Foulques d'Anjou à propos des "biens et des maux" ou encore au chapitre de "la coustume" avec l'opposition d'un gascon aux lois uniques de Charlemagne.
En tant que ouvrage de référence on s'accorde à voir dans cette histoire un manuel fort élégant que des qualités littéraires ont fait recommander alors que les ouvrages comparables du même temps, ceux de Gaguin ou de Gilles respirent plus la simple chronique aride et assez monotone. Paul Emile de Vérone est un disciple des historiens latins de l'Antiquité, qui, à juste titre, fut appelé chez nous par la royauté pour "mettre en beau langage l'histoire nationale", tâche dans laquelle il consacra beaucoup de conscience, et pour laquelle ses préjugés ne sont que ceux d'un italien de la Renaissance. Il a oté la couleur locale comme les caractères singuliers, marqué le lien logique entre les évènements, semé partout des harangues fort bien composées et de belles expressions latines. "Il est impossible", dit encore de lui Augustin Thierry dans "Dix ans d'études historiques", "de mieux imiter ce qu'il y a de candeur et de grâce dans les écrivains du meilleur temps de la Littérature Romaine, de mieux lier les détails aux faits principaux, et de marcher avec plus d'aisance à travers des époques extrêmement embrouillées et lointaines".
Outre la notoriété que cette grande éloquence assurait à cette fameuse Histoire, elle fut prolongée par sa continuation jusqu'au règne d'Henri II par le bordelais Arnould de Ferron.
(=>pour les deux derniers § "Les livres d'histoire moderne utilisés par Montaigne..." P. Villey 1972).
- Ce fut on le voit par toutes les rééditions rapprochées du XVIème S. une oeuvre de référence pendant toute la Renaissance; une oeuvre magistrale malgré, disent ses commentateurs, son ton déclamatoire selon la mode antique et son parti-pris français, une oeuvre qui demeure une source importante pour l'histoire française notamment du XVème S. Et suprême hommage, celui de la tradition attribué par l'usage de ce vieil adage (aujourd'hui bien oublié quand même) qui imposait notre Aemile comme le fondateur de la science historique en France par ces mots : "PAULUS AEMILIUS GALLIS CONDIDIT HISTORIAS" soit 'Paul-Emile a introduit l'histoire en France' ni plus, ni moins.
Son nom est très diversement écrit. Suivant les éditions on trouve généralement son nom en latin, Paulus Aemilius, Aemylius, ou en italien, Paolo Emili, en français aussi, Paul voire Paule Emile, Aemyle, Aemile. La BNF a mis en ligne son Histoire de France dès 1995.