Vu l’importance du personnage déjà durant sa vie mais aussi au XXème siècle, Henri Frédéric Amiel, a fait les frais par son patronyme de multiples jeux de mots d’autant plus qu’il était un homme de lettres de langue française (même s’il était plutôt germanophile, la Suisse étant au carrefour de trois cultures avec le versant italien des Alpes). Je vous ai parlé dernièrement de l’expression ‘prendre la mouche’ à son encontre. Mais il y a d’autres exemples assez savoureux qui témoignent par ailleurs de l’esprit quelquefois « léger » de ce XIXème siècle. En 1854, Amiel publie un recueil poétique « Grains de mil » où se trouvent quelques vers assez pauvres sur le chant de son canari (son oiseau en cage sans autre allusion!). Marc Monnier, écrivain genevois de ses amis, lui envoya à ce propos, ces vers holorimes (du même acabit!): « Ta muse,Amiel aimant, elle enchante, elle épate T’amuse. Ah! miel et menthe,élan,chante,aile et patte. »Bof! C’est pas terrible, je sais. Robert Caze dans « Poèmes rustiques » lui dédie en tant qu’ « excellent poète de Genève », ces quelques vers : « Amiel embellit ce qu’il touche, L’harmonie habite en sa bouche; Il cisèle et polit le vers. Aucune cheville ne bouche Sa strophe aux caprices divers.
Il saisit la rime farouche Dans les buissons et dans les airs, Il butine comme une mouche A miel. ». Ces vers ne sont sans doute pas un chef d’oeuvre mais « ils tiennent debout « . Marc Monnier s’est quand même lui aussi ‘fendu’ de cet hommage, paru dans « Vers Belletriens »: « Puis au professeur sympathique Qui sut butiner dans l’Attique A la fois le sel et le miel: Ici la rime veut Amiel; Et la raison, soit dit sans frime, Marche d’accord avec la rime … » Ce qui est franchement mieux! Enfin, dans la « Revue Française » (n° 193 à 195) on trouve un exemple de cette allusion au miel à propos de l’oeuvre principale d’Henri-Frédéric Amiel (son ‘Journal intime’) : « Sa précision est liée à la cire, et le miel sans la cire, le miel sinçère, est aussi le miel sans la précision. Je ne hasarde ici qu’une image étymologique. On la réalisera peut-être (et contre moi,hélas) en songeant aux imprécations d’Amiel contre la langue française, dont l’exigence de précision dénaturait, disait-il, son être intérieur, au fur et à mesure qu’il l’exprimait. » Vous savez ce qu’il peut en être maintenant de cette »image étymologique » prétexte comme vous venez de le lire de maugréer, en tant que français sur cet admirateur de la langue et la culture allemande (il a écrit de nombreux textes et traduit de grands auteurs allemands sans parler des musiciens qu’il admirait aussi) qui maniait pourtant si bien la langue de ses pères, le français!. Nous le croiserons encore souvent au cours de ce périple amiélien.
En occitan aussi, la langue maternelle de tant d’Amiel, on peut jouer avec notre nom; en languedocien le miel est un nom féminin; on parlera de « la miel » comme par exemple dans une de ces énigmes astucieuses dont cette langue raffole : « Qu’es acð, qu’es acð ? Qu’es petit coma un det d’al, grand coma un ostal, dos coma la miel , amargant coma lo fiel ? » (Qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que c’est ? C’est petit comme un grain d’ail, grand comme une maison, doux comme le miel, amer comme la bile ? réponse : C’est « l’olið », c’est l’olive (et l’olivier car en occitan le même mot désigne l’arbre et son fruit).
Serait-ce encore en raison de cette douceur du miel, douceur au goût, à sa texture, à sa couleur? Toujours est-il que, dans la littérature française comme étrangère, le patronyme qui y fait allusion (Amiel bien sûr) est souvent utilisé pour des romans et autres nouvelles dont le ou l’un des thèmes est la sensualité; un exemple parmi d’autres (on y reviendra sans doute), le roman « Senora de la Miel » de Fanny Buitrago (Harperlibros 1996) où une certaine Teodora Vencejos est forçée de quitter sa Colombie natale pour Madrid: elle y trouve un travail avec le maître-chef Dr Mamiel Amiel (non il n’y a pas de faute), lequel lui donne une éducation sensuelle dans les arts érotique et culinaire, ce qui doit être, vous en conviendrez, autant original que savoureux. Je conseillerais éventuellement un vin pour accompagner, à déguster tout aussi sensuellement, pourquoi pas un « Mas Amiel », ce qui m’arrangerait fort pour terminer cet incursion dans les jeux de mots, car voilà bien un mas apicole (et donc un vin à picole). Avec modération mais là aussi, on y reviendra un jour.
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