Les registres d’inquisition sont une source quasi-journalistique de la vie quotidienne des pays occitans aux XIII-XIVèmes S. On y trouve quantité de noms d’hommes de femmes et d’enfants des communautés touchées par l’hérésie albigeoise; les frères inquisiteurs dominicains ont parcouru beaucoup de chemins pour recevoir des aveux, des témoignages, plus souvent des ragots sur le voisinage, leur permettant de confondre ou du moins de constituer des ‘dossiers’ sur untel, sur lequel on reviendrait ensuite si l’on n’était pas parvenu à prouver, provisoirement, sa culpabilité envers l’Eglise. Ces documents nous sont parvenus et ont été étudiés.
Bernart Amiel, de Fanjeaux, confesse, par exemple, en 1245 à Toulouse, qu’il a « vu des hérétiques marchant dans les rues du Mas-Saintes-Puelles » (Aude), cinquante ans auparavant! Raymond Amiel habitant Bram a accueilli chez lui des cathares vers la même époque. Un autre du même prénom que ce dernier mais de Fanjeaux, parent du premier sans doute, est désigné comme croyant cathare dans les années 1230; on sait de lui qu’il se rendit à Montségur (l’ultime citadelle de cette religion), y a « adoré » les hérétiques « parfaits » et mangé avec eux. Il y a encore à Fanjeaux de nos jours une rue du nom de « Courtine Amiel ». A St Martin-la-Lande (Aude), parmi les sympathisants des hérétiques écoutant un prêche de l’évêque Bernard Marty, en 1243, se trouve Pierre Amiel. Ce même nom est cité dans l’assistance à un autre prêche du même évêque, en 1232, à Génerville ( lieu proche de Fanjeaux) cette fois-ci. Des feuillets de registre inquisitorial ont été retrouvés sur une couverture d’un registre notarial de ce même Fanjeaux, registre d’aveux tenu en 1243 concernant particulièrement Fanjeaux, Laurac, Mas Stes-Puelles et St Gaudéric (Aude): On y trouve le nom du tisserand Pierre Amiel (beaucoup de paysans étaient aussi tisserands et liés au catharisme); il y est qualifié de relaps (hérétique redevenu chrétien mais retombé dans l’hérésie) ce qui lui vaudra sans doute une lourde peine. Peut-être la même que dût subir Jean Amiel « convaincu d’hérésie » qui fut en conséquence « livré au bras séculier » (remis au pouvoir justicier civil) « pour qu’il en fît ce qu’il avait usage d’en faire » (le mettre à mort en termes plus directs). Ce n’était pas toutefois la seule peine applicable, heureusement l’échelle de celles-ci était proportionnée au ‘délits’: Une amende, un pèlerinage, un confiscation, pouvaient parfois suffire pour effacer la faute. Le 9 Novembre 1250 Raymond Autier et Raymond Amiel, de Villemoustaussou (près de Carcassonne) jurent et s’engagent d’employer et d’être garants de Arnaud Narbonne afin qu’il puisse sortir de prison (on n’a rien inventé encore une fois et la solidarité non plus!). Matfre Amiel, seigneur de Penne en Albigeois (famille déjà vue) eut, lui, ses biens confisqués vers 1300. Quelquefois aussi une caution pouvait adoucir le sort de certains cas: Le 22 Mars 1250 le notaire Boni Mancipi rédige un acte de caution donnée par Guillaume Ferrel pour Adalaïs Amiel et Raymonde, femme de Bernard Amiel, de Preixan (Aude). Ce qualificatif de ‘notaire’ était aussi celui des inquisiteurs tant leur propension à tout noter était grande et garante des preuves de leur efficacité. On ne sera pas étonné de trouver un Hugues Amiel dans cette tâche, je vous en dirai quelques mots un de ces jours. Oui tout était enregistré; ainsi le Registre de l’Inquisition de Toulouse (1273-1280) se souvient que près de St-Paul-Cap-de-Joux (Tarn) Grazide reçut (d’après le témoignage de sa fille) de Cerdane, femme de Isarn Amiel, de Blan, souvent tantôt du pain, tantôt des légumes, tantôt des fruits et une fois des poissons salés, « et je crois que cette Cerdane donnait cela à ma mère pour qu’elle le donne aux parfaits » conclut ce témoignage. Un peu plus tard le très redouté inquisiteur Bernard Gui put enregistrer en 1287, la confession d’hérésie de Bernard Amiel, du Mas-Stes-Puelles; connaissant la réputation de ce sinistre religieux on peut penser aux souffrances qu’il infligea sans aucun état d’âme à ce malheureux, « pour la plus grande gloire de Dieu ». L’historien Le Roy Ladurie dans son étude célèbre sur le village de Montaillou (Ariège) à cette époque-là, note plusieurs Amiel dont Pierre, Bernadette et Rixende Amiel. Il faut citer aussi ici l’Histoire Générale du Languedoc somme monumentale de deux bénédictins, Dom De Vic et Dom Vaissette, au XVIIIème S. pour toutes les périodes historiques abordées jusqu’ici et concernant cette région avec par exemple ce fait relaté pour la période ‘cathare’: Une procédure inquisitoriale sur les habitants de Narbonne mais uniquement ceux du Bourg (et non de la Cité) eut lieu avec l’accord de l’archevêque Pierre Amiel en 1234. Ces habitants firent une requête au dit archevêque afin que « par miséricorde et pardon » il leur soit rendu « les bonnes gens qu’il détenait prisonniers » et qu’ainsi « il pourrait y avoir paix et concorde avec les habitants … et… ils ne manqueraient point de faire leur devoir pour la défense de sa personne et de sa terre ». Et c’est par des paroles pleines d’humilité poursuivent les auteurs, que cette supplique lui fut présentée par un « coustelier » qui parla au nom de tous, il s’appelait Jean Amiel, c’était le 1er Décembre 1234, devant le Chapitre de la Cathédrale St Just de Narbonne assemblé, auquel s’étaient joint d’autres dignitaires religieux dont les Frères Prêcheurs en charge de l’inquisition.
Revenons à Bernard Gui, le si redouté inquisiteur, de son nom complet Bernard de la Guionie; il était si imbu de sa personne qu’il fit publier solennellement ses premières sentences dans la cathédrale de Toulouse par un notaire: dans ses premiers « exploits » figure Pons Amiel, de La Garde, près de Verfeil (Tarn) qui fut « livré au bras séculier » pour être jeté aux flammes en 1308; c’était lui aussi un relaps et cette fois il n’abjura pas et fut effectivement brûlé vif! Il était avec un Amiel de Perles (lieu ariégeois de sa naissance, brûlé lui en 1309) un actif prédicateur cathare et tous deux enseignaient l’ancien dualisme absolu (théorie séparant le bien du mal comme n’étant pas de la même origine et ne s’exerçant pas dans les mêmes milieux). Le 13 Juin 1324 par une de ses sentences un autre Amiel est lui condamné au mur (ce qui revient à être enterré vivant); heureusement pour lui cette peine lui est remise le 12 Août suivant et transformée en un jeûne au pain et à l’eau tous les Mercredi et Vendredi pendant deux ans, ce qui ne peut être comparé n’est-ce pas! Un autre inquisiteur connu est Jacques Fournier (il devint pape), nous avons aussi son registre d’inquisition; il nous garde le souvenir de deux hommes de la même famille (père et fils) des montagnes ariégeoises nommés Jean Peyre-Amiel et son père Ascou qui vivaient au début du XIVème S. et furent inquiétés en 1322 (date du registre); ainsi que toute une famille Amiel habitant Mérens dans les années 1318-1325 dont Pierre le patriarche, Bossa Amiel et son épouse Rossane et qui tous passérent devant le Tribunal Inquisitorial de Carcassonne. Et puis il y a le cas de Amiel de Rieux, ariégeois lui aussi, convaincu du chef d’hérésie sur sa confession en 1325, il était pourtant prêtre de l’église romaine et même vicaire perpétuel d’Unac (Ariège); la gangrène avait donc atteint la moelle en la personne de l’église elle-même!
Mais toutes choses ayant une fin, la répression inquisitoriale contre les cathares va considérablement chuter vers les années 1325-1330, peut-être faute de gens à inquiéter, le catharisme ayant ‘bel et bien’ été éradiqué dans ces terres devenues ‘enfin’ et françaises et catholiques: on note pour cette période la condamnation par Henri de Chamay (un du nord sans doute vu le patronyme) de Guillem Amiel à la prison pour hérésie ‘tardive’!
Je l’ai déjà dit cette répression inquisitoriale qui double la Croisade Albigeoise fut surtout l’occasion de mettre au pas ces vastes régions méridionales qui avaient un peu trop de velléités autonomistes autant en ce qui concerne la religion que la politique et l’administration sans compter sur les profits sonnants et trébuchants à y faire sur le dos de ses habitants qu’ils soient nobles ou manants. Un seul exemple, celui de Simon de Montfort (père de l’horrible Amaury) premier grand chef croisé qui, en 1211 fait enlever la possession de Villedaigne (Aude) à son légitime possesseur Bernard de La Redorte car il était un chevalier ‘faydit’ (défendant l’hérésie et sa liberté) et la « donner » à titre de fief à un certain Bernard Amiel, riche bourgeois et notable narbonnais, sous l’albergue annuelle de cinq chevaliers (à la condition d’entretenir ces hommes). Il est vrai que ce riche personnage avait auparavant acheté plusieurs morceaux de la dite seigneurie au co-seigneur du lieu, Raymond de Montbrun, mais quand même! Vous voyez que là aussi encore nos gouvernants n’ont rien inventé, l’argent arrangeait déjà beaucoup de choses!
0 responses so far ↓
Il n'y a pas encore de commentaire, profitez-en !
Laisser un commentaire