Les saints ont avantageusement contribué à la propagation et à l’installation durable de l’Eglise Catholique en Europe; c’est particulièrement vrai pour les pays où le protestantisme eut lui plus de mal à s’y implanter (Espagne, Italie) où à s’y développer (France). Et sans doute dans ces pays leur culte y était-il plus profondément ancré, correspondant à un certain penchant atavique pour ce genre religieux, souvent très démonstratif, faisant appel aux mouvements de groupe voire de foule pour s’exprimer pleinement; on le voit encore très clairement de nos jours en Espagne ou en Italie, plus rarement en France. Et l’exemple de nos trois saints aemiliens corroborent tout à fait ces remarques: si en France on a totalement oublié (ou presque) l’évêque de Nantes, en revanche en Espagne vous verrez que le saint à la capuche est toujours vénéré et en Italie le clerc de Somasque continue à inspirer l’éducation des clercs de sa congrégation.
Dans l’ordre d’apparition à l’image pourrait-on dire si nous étions dans un film chronologique historique, il nous faut aller du coté de Logrono, en Espagne, dans la province de la Rioja (au sud de la Navarre) et remonter jusqu’au troisième quart du Vème S. soit en 474. Il va naître dans cette région un aemilien qui va devenir l’un des religieux les plus célèbres et les plus populaires de ce pays. Nous connaissons sa vie grâce à un autre saint du nom de Braulion qui fut évêque de Saragosse au VIIème S. et qui l’a rédigée moins d’un siècle plus tard. Voici en résumé ce qu’il nous apprend: D’abord berger dans les montagnes de La Rioja, sa région de naissance, en Aragon, il cherchait toujours les gorges les plus sauvages pour y faire paître ses troupeaux, et « tout en charmant sa solitude par les sons de sa guitare, il apprît à y ouvrir son âme aux accords célestes » c’est St Braulion qui parle. Il se fit ensuite pendant quarante ans ermite et enfin moine puis abbé sous la règle de St Benoît. Bien entendu il fit des miracles et sa vie austère subjuga (séduit) les Suèves ainsi que lesWisigoths (les Suèves ont précédé les Wisigoths en Galice au début du Vème S. et furent vaincus par eux en 585),(ref: « Vie de St Emilien par St Braulio … Act. SS. O.B, T.I p.197). On sait que, sur un plan plus ‘politique’, l’ermite wisigoth eut, pour subsister (tout homme fut-il saint doit se substanter!), des liens avec un ‘potens’ (puissant) qui, de son côté trouva par là une occasion répétée de don ostentatoire qui ne pouvait que lui servir avantageusement et à peu de frais; il s’agit du sénateur Honorius: Aemilius ‘purgea’ sa maison d’un démon (élimina), purge dont il fut remercié par « l’envoi de voitures » chargées de nourriture, livraison qui fut sans doute renouvelée régulièrement et dont ont dû profiter pas mal de ‘voisins’ dudit ermite. C’était en quelque sorte un échange de bons procédés, le sénateur devenant par là très connu et atteignant de ce fait les plus hautes sphères de la nouvelle société qui se mettait alors en place. Mais la notoriété véritable de notre saint homme ne se mettra véritablement en place qu’au XIIIè S. avec sa « militarisation » elle aussi politique. Entre-temps un monastère bénédictin se développera dans lequel on cultivera notamment les lettres, comme on le verra. Mais revenons à cette militarisation: On voit notre Aemilius intervenir aux côtés du fameux Santiago (St Jacques de Compostelle) lors de la bataille de Clavijo ( en 934 selon un faux ‘Privilège des voeux’ calqué sur celui de St Jacques); bataille qui voit la défaite du calife Abd-El-Rahmân face au roi de Léon, Ramire II. Cette histoire est d’ailleurs reprise par la « Vida de San Millan » de Gonzalo de Berceo (avant 1236?). Il est donc très connu en Espagne et sous le nom de San Millan de la Cogolla (capuche), c’est aussi le nom éponyme de la localité où il mourut vers l’âge très canonique (au propre comme au figuré), exceptionnel pour l’époque, de cent ans, vers 574. Le monastère lui est connu pour ses « Codex Aemilianenses » notamment celui du 13 Juin 964 et le codex Aem. 60 de 975 (ou 997): ce sont les plus anciens documents en langues castillane (espagnol) et basque. Le second cité étant riche en annotations, explications et autres ‘gloses’ ce qui explique l’expression utilisée à leur sujet de « Gloses Aemiliennes ». Un très grand saint espagnol donc.
Retour en France et direction Nantes, à l’embouchure de la Loire, environ un siècle après la mort du saint ‘à la capuche’, vers 675. Il nait alors un certain Aemilius dans une noble famille d’origine gallo-romaine illustre à Nantes dit l’hagiographe. Vers 710-720 le jeune Comes Emilien (Comte) de Nantes (qui succède curieusement à un certain Amelon de sa famille peut-être?) est comme son prédécesseur également l’évêque au même siège. C’est alors l’époque des invasions musulmanes venues par l’Espagne (on les appelait les Sarrazins) et elles avaient atteint les régions de Bourgogne: comment arrêter ce désastre autant religieux que politique? Voilà notre Aemilius décidé à agir de son propre chef; Milian (aussi appelé encore Umilian, en référence à son humilité?), enfin bref, Aemilien va conduire une véritable armée bretonne à l’assaut de ces infidèles (le qualificatif peut leur être retourné dans le cas où nous sommes). Cette véritable « Croisade » avant la lettre va amener ces soldats du Christ, en longeant la Loire, jusqu’à Autun, cette vieille ville gallo-romaine située en Bourgogne. Il est sans doute le premier représentant de l’Eglise à organiser et mener une telle entreprise religieuse armée, organisation pour laquelle il prêcha auparavant auprès de ses ouailles la nécessité afin de sacraliser cette tâche armée. Se joignant à l’armée civile de Charles Martel, le futur vainqueur de ces Arabes à Poitiers (en 732 pour mémoire) il périt malheureusement au cours d’une bataille sous les murs d’Autun avec St Médard et peut-être avec ses huit fils (je répète que les évêques pouvaient alors se marier et avoir une descendance). Ce dernier évènement l’a fait surnommer « le nouveau Macchabée » (rappel de l’Ancien Testament, Livre des Martyrs d’Israël) ce qui lui donna au moyen-âge une gloire très spécifique bien oubliée de nos jours. Le lieu de sa mort conserve le souvenir de son sacrifice, il s’agit de la localité de Saint Emiland (auparavant nommée St Jean-de-Luze (non il n’y a pas d’erreur, rien à voir avec la cité éponyme, consonnantiquement parlant, de la Côte Basque). La région de Sens (dont dépendait Autun) conserve d’autres toponymes commémorant le même saint homme tels que Montmiliant à Voisines ou la chapelle de St Emiland à Tanlay. Sa région d’origine ne l’a pas non plus oublié, son lieu (supposé) de naissance porte aussi le nom de St Emiland (de Bretagne) seuls ces toponymes rappellent de nos jours sa gloire passée.
Dernier voyage, l’Italie de la fin du XVème S., en Vénétie. Alors que s’épanouit la fastueuse Renaissance italienne, que la République Vénitienne est à son faîte de gloire, Jérôme Emilien, descendant de la vieille famille aristocratique vénitienne des Aemiliani, alors qu’il n’a que quinze ans (vers 1496) doit défendre sa patrie à Castelnuovo (province de Trévise) et il est fait prisonnier par les Allemands. Délivré miraculeusement suite à ses prières à Marie, (via N-D de Trévise), l’illustre descendant des Aemiliani va vivre dans l’humilité et la charité et « ses collègues patriciens dont naguère il marchait l’égal ne le verront plus dans leurs palais » dit son hagiographe. Il vouera dès lors sa vie aux enfants dont les orphelins, (par exemple à l’autre bout de la terre, son ordre est présent aux Philippines, Collège de Sorgoson) et aux malades incurables. Après avoir fondé plusieurs maisons de son vivant, il fixa la règle de l’Ordre qu’il fonda, La Congrégation des Clercs Réguliers de Somasque, ordre bien vivant encore de nos jours et qui continue sa vocation d’enseignement en Italie et dans le monde surtout dans les pays démunis à ce sujet. Une fois son oeuvre pleinement réalisée il se retire en ermite dans uns grotte de Somasque, près de Bergame. Il y découvre une source miraculeuse qui guérit (c’est souvent le cas). Mais à la suite d’une épidémie il meurt à cinquante-six ans en 1537 (il serait donc né en 1481). Toujours honoré de par le monde et en Italie, son oeuvre si utile continue à bénéficier à beaucoup d’enfants.
Nous quitterons ici le domaine strictement religieux pour nous intéresser à la vie ordinaire des Amelius-Amiel durant tout l’Ancien Régime à travers leurs professions diverses, faits divers etc…donnant un aperçu rapide de ce qui a fait la vie sociale durant des siècles, alors que les changements n’étaient certainement pas aussi rapides que de nos jours, même si l’on ne peut nier qu’elle a évolué, mais à un rythme bien plus à la mesure de l’homme.
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