Si les protestants du XVIème S. demeurent des chrétiens fidèles aux textes bibliques, la Bible constituant leur unique référence, ils rejettent par contre tous les dogmes catholiques édictés au fil des siècles par de multiples conciles pour ‘aménager’ la pratique religieuse et ‘fixer’ les ouailles à l’Eglise de Rome. Aux XIIè-XIIIème S. la contestation allait beaucoup plus loin, jusqu’aux contestations des vérités premières de nature philosophique (sur le bien et le mal, la nature de l’homme sur terre, son devenir après la mort …), de nature religieuse (statut de Jésus, vérités bibliques dont ils ne conservent que quelques textes, prières et rites très limités n’ayant pas grand-chose à voir avec la liturgie catholique romaine …), tant et si bien que l’on a pu parler alors d’ « hérésie » dans cette féodalité si catholicisante de nature. Bien sûr en ces temps de telles idées ne pouvaient raisonnablement se propager comme se propagea le protestantisme trois siècles plus tard: la connaissance de la Bible n’était l’apanage que des clercs, des nobles et des rois, la « piétaille » était ‘priée’ de se conformer en matière de religion à ce que lui affirmait son desservant (d’ailleurs on ne devait pas se poser beaucoup de questions à ce sujet) et à pratiquer exactement selon les rites (dérivés des dogmes). Mais pourtant avec le catharisme on a là une idée qui vient de loin, de l’Orient peut-être, colportée par les marchands ou les voyageurs (on se déplaçait pas mal malgré ce que l’on peut croire sur ces siècles dits ‘obscurs’). Et cette nouvelle façon de penser et de voir les choses de la religion trouva en Languedoc et particulièrement en Lauragais, Toulousain, Carcassés, Pays de Foix, Agenais, Biterrois… une belle terre où s’épanouir et s’enraciner. Les habitants de ces régions trouvèrent là « chaussures à leurs pieds » si je puis dire. Et leurs seigneurs tout autant. Il faut dire que l’esprit d’indépendance, de liberté, les idéaux d’amour de son prochain et une foi simple cadraient avec ces populations, leur culture (les troubadours autant que leurs moeurs (le ‘fin amor’ par exemple ou le ‘paratge’), leurs lois (écrites depuis les temps gallo-romains). On n’a jamais aimé ici se faire dicter quoi que ce soit, beaucoup de communautés possèdent leurs chartes de droits reconnues par les seigneurs dès ce temps-là. L’on est donc volontiers si ce n’est ‘croyant’ en tous cas ‘sympathisant’ cathare, du ‘bas-peuple’ jusqu’au comte de Toulouse et sa famille élargie (et les vassaux idem). Une véritable ‘gangrène’ pour l’Eglise Catholique qui perd de son influence et des avantages qui vont avec; les dommages doivent être circonscris, la propagation endiguée, le mal connu sera détruit! Et les hommes d’Eglise incapables par la persuasion d’arrêter le mal (St Dominique lui-même aura beaucoup de difficultés durant son court apostolat en Lauragais) feront appel « à la guerre sainte », la Croisade va être décidée par le Pape avec le Roi de France (qui put voir les avantages énormes qu’il pouvait tirer de ce combat pour ‘la foi’). Je l’ai déjà mentionné mais il faut insister sur ce point: cette Croisade fut menée pour hérésie contre des populations chrétiennes même si leur tort était de ne plus obéir à l’institution officielle de l’Eglise papale. Je ne vais pas ici vous raconter cette « Epopée cathare » (titre de l’oeuvre de M. Roquebert) mais utiliser les sources de cette période pour vous parler bien sûr de quelques Amiel de cette période, certains étant des chevaliers ou petits seigneurs des régions touchées par la croisade ou de simples pauvres bougres (c’est en passant le nom que l’on donnait aux croyants cathares, rappelant peut-être l’origine européenne de cette religion, la Bulgarie); ces derniers étant cités dans les nombreux « interrogatoires » de la Sainte Inquisition dont j’ai déjà parlé pour ses pratiques de délation, d’aveux et des peines infligées et dont nous avons conservé des registres avec beaucoup de noms et de lieux, circonstances etc…surtout au XIIIème (où l’inquisition bât son plein si l’on peut dire) mais encore au XIVème S.
Avant le début de la Croisade (1209) on voit que les albigeois (nom donné aux hérétiques par les gens du nord, les envahisseurs croisés) sont déjà bien implantés: les croyants vivent en communautés notamment en Pays de Foix; ces communautés étaient visitées par les seigneurs locaux: par exemple Guillaume Amiel de Pailhers dans les années 1205-1220. Dès 1204 eut lieu à Fanjeaux (Aude) la prononciation solennelle des voeux de Parfaite d’Esclarmonde de Foix, véritable affront à l’église de la part d’une noble, femme qui plus est. Dans l’assistance, comme témoins on lit les noms de Raymond Amiel et son épouse Saure du Mortier, leur fils aîné Amiel et Pierre Amiel de Brau. Autre preuve de cette liberté de penser, celle de Bernard Amiel, chevalier de Pailhès (autre forme de Pailhers) qui au temps de la croisade combattait avec les autres seigneurs du sud « pour la plus grande gloire de Dieu » comme il disait dans un grand éclat de rire; il n’aimait pas du tout les prêtres de Rome et en avait occis (tué) au moins deux de ses propres mains, « coupé les génitoires » à un autre, et dont la réputation de lubricité était connue! Dans le Carcassés autour du seigneur Olivier de Termes (bien connu de ceux que la drame cathare intéresse) nous voyons évoluer Guilhem Amiel de Villalier, Amiel de Rustiques, autour du premier quart du XIIIème S.
Et ‘dieu sait’ si l’on a discuté philosophie et théologie avant d’en venir aux mains; c’était l’époque de Dominique et de ses Frères Prêcheurs; souvent même d’une façon publique dans des débats que l’on appelait « disputes ». Un registre nous conserve le témoignage d’une dispute non pas entre ces deux partis mais entre cathares et ‘vaudois’ (autre sectarisme chrétien de la même époque!): c’est celui de Pons Amiel, notaire de Miraval (Lauragais ou Cabardès) qui, en 1243, se rappelle y avoir assisté 37 ans auparavant (soit vers 1206). Et à cette époque ce genre d’exercice était nouveau. Autre témoignage celui de Bernard Amiel, écolier, qui passant un jour par le chemin qui longeait l’hôpital de Laurac, entendit deux truands, recueillis sans doute dans cet asile de mendicité, qui discouraient sur l’Eucharistie et la valeur de l’hostie consacrée. Ce fait si simple pour nos yeux du XXIèmeS. est pour l’époque et ce lieu des plus curieux: il faut y voir cet esprit de liberté (ici en matière religieuse) qui avait pénétré jusqu’aux couches les plus basses de cette société méridionale et il n’y avait aucune crainte à émettre, dans des lieux publics (à fortiori privés), de sérieux doutes sur les dogmes intangibles de Eglise Officielle. Les femmes, un peu comme chez les protestants bien plus tard, avaient aussi leur place dans cette croyance, à l’égal des hommes et aux mêmes conditions et exigences. On a vu le cas d’Esclarmonde l’effrontée soeur du Comte de Foix, Saura du Mortier, on pourrait aussi citer dans la même famille, Mabilia, épouse d’Amiel du Mortier, fille de Saure, laquelle déclare dans un interrogatoire, qu’elle était en relation, avant 1215, avec un certain nombre de nobles dames « parfaites » et que souvent elle réunissait chez elle d’autres dames de Fanjeaux. Ce n’est pas pour rien que Dominique de Guzman s’installa dans ce lieu comme centre de ses pérégrinations: toutes les maisons féodales des alentours étaient acquises à cette foi, des adultes hommes femmes jusqu’aux enfants voisins, affidés paysans et obligés. La transmission étant assurée par les prédications des parfaits et parfaites mais aussi par l’éducation familiale générationnelle ou sociale des villages et communautés; Mabilia dit même, en 1246, qu’elle avait vu à Fanjeaux et ailleurs les hérétiques (c’est bien entendu le terme du registre inquisitorial) « vivre en toute liberté » ce qui lui semblait logique, normal dans cette société occitane basée sur cette liberté qu’elle perdra par son annexion à la France à l’issue de cette satanée croisade albigeoise.
Un deuxième article sur ce sujet s’avère nécessaire pour pénétrer plus avant dans ces fameux registres inquisitoriaux et voir les noms de quelques Amiel de basse extraction mais qui avaient bien compris sans doute que cette foi irrespectueuse de l’église omniprésente correspondait tout à fait à leurs idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité, trois principes qu’ils pratiquaient depuis bien longtemps, trois principes qui mettront six siècles pour être ceux d’une république dont ils ne pouvaient même rêver.
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