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On ne sait jamais de quoi le passé sera fait.
Paroles d'archéologues et d'historiens de notre temps.
Les tablettes cunéiformes de Mésopotamie :
C'est, on l'a dit, sur la terre entre les deux fleuves Tigre et Euphrate qu'apparaît l'écriture, l'indispensable moyen qui servit tout d'abord à l'administration des cités naissantes puis à conserver par écrit la littérature de Sumer et Akkad dans les écoles pour scribes. Les Sumériens, habitants de la Mésopotamie à la fin du IVe millénaire avant Jésus-Christ, inventèrent cet extraordinaire moyen de communication en gravant des signes sur des tablettes d'argile à l'aide d'un style pointu. Ils gravèrent tout d'abord des logogrammes, dessins schématiques des objets cités, puis ils simplifièrent progressivement ce système en décomposant les signes en caractères cunéiformes obtenant alors un vaste répertoire de signes syllabiques (~600) ayant parfois valeur de mots. Ces signes étaient utilisés pour écrire des termes abstraits ne pouvant être exprimés à l'aide de symboles ou schémas, à travers leur décomposition en syllabes. Les tablettes, une fois gravées, étaient cuites au four et l'argile ainsi durcie se conservera ainsi pendant des millénaires dans la terre des sites archéologiques du Proche Orient. Elles nous ont transmis un trésor inestimable. Des archives administratives et des bibliothèques entières nous font connaitre un tableau vivant et direct des événements historiques et politiques, de l'organisation sociale et économique, de la mythologie comme on l'a vu précédemment, de la religion des peuples de Mésopotamie, d'Iran occidental, de Turquie et de Syrie. Les textes cunéiformes qui se présentent sous la forme de tablettes de la taille de la paume de la main, au nombre d' ~1 million, sont souvent conservés dans les musées du monde entier; ces éclats du passé contiennent un immense patrimoine culturel que seuls 450 assyriologues à travers le monde sont capables de lire, traduire; des informations sur ces sociétés archaïques que nous ne pouvons recevoir enfin que sous une forme transposée pour notre temps.
Une écriture complexe mais précise et très diffusée :
Cette écriture va se diffuser au cours du IIIème millénaire dans toute la Mésopotamie et, vers la fin de ce même millénaire, elle sera pratiquée dans tout le Proche-Orient : inventé pour la langue sumérienne, le cunéiforme sera employé dès la moitié du IIIe millénaire avant Jésus-Christ pour la langue sémitique des nouveaux habitants de Mésopotamie, les Akkadiens, puis successivement pour le babylonien, l'amorrite, l'araméen, l'assyrien (qui sont toutes des langues et dialectes sémitiques), mais aussi pour l’hittite, langue indo-européenne parlée en Anatolie, et l’hurrite, langue agglutinante difficile à classifier. Ses signes en forme de "clous" (du mot latin, cuneus) transcriront aussi l'élamite. L'Elam, qui rappelle également notre nom, fut en effet une des contrées proche du creuset mésopotamien, celle des hauts plateaux iraniens et des monts Zagros en leur centre, région montagneuse dominant au sud-est la riche plaine fluviale, pays des ancêtres orientaux des goths, les Gutti, qui coloniseront la Septimanie bien des siècles plus tard.
Et cette diffusion scripturale est d'autant plus curieuse que l'écriture cunéiforme était d'une complexité rare : elle était à la fois idéographique et phonétique, tout comme le fut l'écriture hiéroglyphique. J-F Champollion fut, comme on le sait le 1er à déchiffrer ces signes hiéroglyphiques et décréta qu'ils exprimaient en effet soit des sons ou syllabes (phonogrammes), soit des symboles ou idées (idéogrammes), en 1812; c'est lui aussi qui établit la même année que les écritures cursives sont postérieures à ces hiéroglyphes; bien avant, en 1805 il publia accessoirement une "Etude de l'origine des noms de la Bible" (notre nom est aussi biblique comme on le verra!).
Un scribe avait en cunéiforme deux possibilités :
-1- soit écrire un même mot avec plusieurs signes représentant les syllabes qui le composent, ainsi le terme que l'on a vu pour désigner l ' “homme", amilu ou amelu en akkadien, était écrit par trois signes : le signe notant /a/, puis celui pour /mi/ou /me/ et enfin celui pour /lu/ : a-mi-lu, a-me-lu;
-2- soit avec un seul signe qui représentait directement le concept “HOMME". De plus une même syllabe pouvait être notée par des signes différents.
La complexité de cette écriture était conçue comme une richesse; écrire en cunéiforme était une manière de penser et de concevoir le monde. Aussi son évolution ne tendit-elle pas vers une simplification qui l'aurait dénaturée et l'alphabet dont nous sommes les héritiers naîtra d'une autre démarche intellectuelle comme on le sait.
Les Amil connus par les tablettes cunéiformes :
Voilà donc avec Amil (Amilu, traduit aussi par Amelu, Amel) un grand nom générique puisqu'il signifie tout simplement "l'homme", plus exactement, pour ce qui est des individus nommés, "l'homme de son dieu (dont le nom suit)". (cf. article sur 'l'apport de la linguistique et de l'histoire sur le nom Amelon' dans la page Mythologie antique des origines de l'homme). Un érudit anglo-saxon a expliqué simplement cette relation entre l'homme et son dieu : "L'amelu est l'ombre du dieu, tout comme l'ombre de l'amelu est l'homme du peuple. Notez qu'amelu signifie ici "roi" car il est à l'image du dieu." (cité par Leo Oppenheim in "Letters of Mesopotamia" 1967). A-me-lu, cet ensemble de trois syllabes tracées en caractères cunéiformes désigne en effet dans le haut de la pyramide sociale de Mésopotamie les hommes libres (par rapport aux esclaves, ces hommes du peuple). Anciennement le terme d' "amelu" correspond au plus vieux "awilum" que l'on trouve dans le Code d'Hammurabi (composé ~- 1750); ce terme aurait, comme d'autres, mué suite à sa prononciation : "amelum serait la preuve de l'existence en babylonien sémitique et assyrien d'un 'm' nasal comparable à 'w' (cf. The American Journal of Thology, art. "The code of Hammurabi" de J. Dyneley Prince, Columbia University). Et ce groupe des "awilu(m)" en babylonien ou "amelu(m)" en assyrien a un champ large de compréhension : bien qu'il signifie parfois "quelqu'un" sans considération de son statut particulier, il s'agit le plus souvent d'un "homme libre" voire même aristocrate, noble au sens non pas d'une noblesse de sang (qui n'existait pas en Mésopotamie) mais de fonction, doté d'une certaine honorabilité et donc d'une autorité morale. En ce sens "awilum" équivaut à notre moderne et si banal 'monsieur' (qui, lui, nous vient du moyen-âge : mon seigneur, mon sire) (cf. "Les inégalités sociales en Mésopotamie..." S. Démare-Lafont in revue Droit et Cultures, n°69, 2015-1). Ainsi nous seront transmis avec leurs fonctions de nombreux noms d'hommes libres, souvent parmi ceux qui régnèrent dans la région mais aussi des noms d'hommes libres concourant à la bonne marche de la société (administrateurs, militaires et prêtres).
Le terme général d'amilû est trouvé par ex. dans des tablettes akkadiennes de Ras-Shamra (XVème - XIIème S. av. J-C), de type économique; les titres de § y désignent les fonctions occupées : les libateurs, exécutants du culte sont les "amilû Sa-na-qi"; chez les instructeurs apparait le sous-titre "amilû mu-us-kénu-tum" qui seraient les "cliens" (clients au sens romain) de ces instructeurs; et chacun de ces § liste les noms (pas moins de 250) de ces hommes sur une seule 'brique' (26 x 17 cm !) ce qui en fait une sorte de bottin administratif du XIVème S. avant notre ère !
On a dit, mais il me semble utile de le rappeler, qu'il est probable que l'invention de l'écriture soit liée au principe d'autorité sur un bien, lui-même étant une conséquence de la production agricole excédentaire qui n'a pas manqué de se produire par suite déjà d'une propension humaine à la domestication de la nature à outrance (on voit de nos jours jusqu'où on peut en arriver !). L'appât du profit était déjà présent et la convoitise puis le pouvoir avec; certains pensent qu'il faut voir là non seulement les castes sociales mais aussi l'origine des religions. L'historien Elisée Reclus écrivait au XIXème S. : "Les noms de peuples se composent principalement de mots ayant pour signification primitive le sens 'Homme' dans une acception exclusive" ajoutant "...ces appellations perdent, pendant le cours des siècles, leur sens originaire, pour prendre, dans la pensée de ceux qui les portent, une valeur exceptionnelle, unique, vraiment divine".
C'est bien le cas pour cet Amil-Amel qui, passant de peuple en peuple, d'abord désignant simplement l'homme dirigeant de la société, puis étant accolé à des noms de dieux personnels, désignant éventuellement un peuple comme on l'a vu (cf. Mythologie), parviendra finalement jusqu'à nous à peine transformé dans son expression phonétique mais avec un sens élargi à ce peuple insigne des tribus hébraïques, ce 'peuple de leur dieu unique, Dieu' exprimé actuellement par notre nom Amiel pour son expression juive. Quant au vieux terme d' "amelu" il sera utilisé encore très tard puisqu'on connait, dans la même région, par ex. le satrape (amelu) "muma'ir" d'Akkad dans les années 275 de notre ère ou des magistrats qualifiés d' "amelu" "paq-du" (cf. "Les villes de l'état iranien aux époques parthe et sassanide" 1963).
Il nous faut donc remonter très loin, au IIIème millénaire avant notre ère : il y eut à cette époque une symbiose culturelle forte, remarquable, entre les Sumériens et les Akkadiens dont notamment le bilingualisme; puis l'akkadien supplantera le sumérien progressivement à l'orée du IIème millénaire; pourtant le sumérien demeurera utilisé pour le sacré, le cérémoniel, le littéraire et le scientifique, ceci jusqu'au Ier S. av. notre ère ! Outre le nom d'un dieu Gudi qui rappelle les Gutti de l'Elam proche, ces goths du coin, on pourra lire à partir de ce temps les noms suivants, inscrits pour l'éternité dans l'argile cuite, enfouis dans les terres mésopotamiennes et retrouvés assez récemment:
- Amil-Nusku, 'patesi' (~vice-roi) d'Ashunna, il est "l'homme du (de son) dieu Nusku", dieu sumérien du feu et du...cœur, fils et messager d'Enlil; des textes sémitiques le font roi de la nuit qui illumine l'obscurité;
- Amil-Nindar, roi de Nisim, sémite qui, outre Ur et Ninive, régnait aussi sur Nippour (cf. A dictionary of the Bible, J. Hastings, vol. I part 1, Babylonia, pp 225-226). Il est l'homme du (de son) dieu Nindar, qui selon quelques auteurs est le "dieu qui fracasse", le dieu de la force. Nindar fut invoqué surtout à Ninive; il correspond au Nemrod biblique, personnifiant la force autant à la chasse qu'à la guerre;
- Amil Samas, nom trouvé sur deux cônes de fondation en terre cuite; ce nom signifie "l'homme du (de son) dieu soleil Samas", Samas étant le juge du ciel & de la terre; le haut personnage de ce nom est qualifié de 'patesi' de Umma, prince de ce lieu Oumma ou Kissa, Kishsha en akkadien, de nos jours Tell Djokha (sud de la Mésopotamie, à 60km de l'Euphrate).
- Amil-Mirra : Une tablette conservée à Londres (British Museum), paraissant dater de la fin du IIIème millénaire, traitant de transactions commerciales et financières, dit qu'un certain Amil-Mirra devra payer 330 mesures d'orge à celui qui détiendra la présente tablette au moment de la récolte ! (cf. L'economia dell'antica Mésopotamia (III - Ier millénio a-C...), F. d'Agostino, Sapienza, Universta di Roma, 2013).
- Amil-Ea : Dans le même genre on peut citer une reconnaissance de dette simple de 60 sicles d'argent d'un descendant d'un Amil-Ea, "l'homme du (de son) dieu Ea", dieu des eaux vivifiantes, de la sagesse, de la civilisation. C'est l'Enki sumérien, peut-être fruit de deux figures, l'une sémitique, l'autre sumérienne; il est aussi le maître de la magie et de l'exorcisme; très vénéré en Mésopotamie, il eut un grand succès dans toute la vaste région du Moyen-Orient durant la 2ème moitié du IIème millénaire av. J-C;
- Amil-Ninib : Entre 2375 et 1770 av. J.C. s'établit à Isin une nouvelle dynastie dont le 7ème roi fut Amil-Ninib, lequel régna 28ans d'~-2275 à - 2245. Ninib fut dieu de l'agriculture et de la guerre. Ninib était le fils d'Ea, c'est un ancien dieu solaire qui sera relégué aux tempêtes et souffles fécondants (d'où son attribution à l'agriculture); il est devenu chez les grecs le sage Chronos, maître du temps, régissant aussi les philosophes.
- Sur une tablette bilingue (sumérien - akkadien) dans une liste d'une centaine de rois, on peut citer Amil-Gula (3ème, Gula étant le dieu de la médecine), Amil-Sin (5ème, Sin est le dieu lunaire de la mesure du temps) et Amil-Samas (6ème, déjà noté), des noms tous sémitiques. (cf. Babylonian Life & History, E. AQ. Walles Budge, The Religious Tract Soc., 1886).
- Amil-Anu est lui un babylonien plus récent qui vécut sous le règne d'Emuq-Sin, roi de Babylone vers -700, son nom signifie "l'homme du (de son) dieu Anu", le dieu du ciel aussi père des dieux et même roi des dieux. Ce père du grand dieu Enlil dont on reparlera dans la page Hébreux est bien le dieu du firmament, son nom même signifiant "cieux", il fut l'un des dieux de la triade suprême qui engendra la création du monde, grand dieu invoqué notamment à Uruk;
- Amil-Naki Ka: Ce nom trouvé sur une autre tablette concerne l'institution d'un "rabisou" soit d'un fonctionnaire subalterne, juge peut-être, devant témoins. (cf. voir 1ère rèf. suivante *).
De "l'homme de son dieu" à son parent ! :
Dans la suite des rois qui ont régné en Chaldée (sud de la Mésopotamie) après le bien connu Hammurabi, qui régna entre ~- 1810 et ~- 1750, dont le nom se décompose en ((h)ammu (parent paternel) + rabi (grand ou rapi, guérisseur), qui signifie plus simplement "l'aieul est grand", rappelant la signification hébraïque de notre nom Amiel d'une manière très générale, il y eut Ammi-Sahama puis Ammi-Ditana et Ammi-sa-Duga (de -1646 à -1626); ce dernier lui succéda il y a donc près de 3600 ans avant le présent, une époque à laquelle on peut placer l'éventuel Abraham qui fera parler de lui, peut-être malgré lui ... dans la Torah, la Bible et le Coran, bien plus tard. A l'époque de ce roi fut copié pour une énième fois mais pour nous c'est la plus ancienne trouvée, le fameux Poème d'Atrahasis dont j'ai parlé dans la partie mythologie; c'est en effet sous ce roi qu'un jeune scribe du nom de Kasap Aya avec son stylet, traça, écrivit en cunéiforme bien sûr, les mots de ce poème en langue akkadienne et indiqua la date dans une année de son règne et le nom de ce roi. Et là on va passer de "l'homme de son dieu", "client" de son dieu en quelque sorte, en relation étroite avec lui, à une assimilation toute symbolique dans sa parenté; c'est une 1ère étape majeure dans ces relations hommes-dieux. Le "dieu-oncle" donc dieu-parent par excellence apparait comme élément théophore dans plusieurs noms propres comme Ami, 'kn'am, Th'am. Amm deviendra bel et bien chez ces Chaldéens "l'oncle", le parent tribal; à ce sujet il faut dire qu'Abraham père des sémites est donné comme d'origine chaldéenne par l'Ecriture. Amm est aussi sous ce nom l'une des grandes divinités du Qataban où il est le dieu lunaire, au Yemen, en Arabie du sud, dans cette partie du royaume de Saba dont on reparlera dans l'une des pages sur les hébreux, il est connu dans cette région affublé de pas moins huit suffixes complémentaires comme Amm-Anas, nom propre à la tribu des Khawlân qui lui consacraient une partie de la récolte et du bétail (Anas étant un nom de dieu déjà vu). Cet Amm qui est attesté aussi par des inscriptions thamoudéennes et safaïtiques, est connu toujours en Arabie du sud sous d'autres formes très proches: Amman, Ammân et Ammum. Cette notion de parenté avec la divinité passera chez, ou sera bel et bien retenue par les anciens hébreux bien plus tard, selon ce que l'on verra, pour ce qui concerne notre nom, dans la page suivante (cf. Amiel nom hébreu, Lo-Ammi). Il survivra dans l'Ancien testament dans le nom de Jérobo-am. Mais cette nouvelle relation de proximité avec le divin est loin encore d'être la généralité dans la région et il est utile de voir plus précisément d'où vient le terme d'Il, cet El dont on n'a pas fini de parler par son passage chez les hébreux, 1er nom de leur dieu unique.
Amil résulte d'Am + Il :
Le Prof. Scheil cite une tablette très bien conservée contenant 55 lignes d'écriture sur les deux faces et sur les tranches, dans laquelle on peut lire plusieurs fois le nom Amil-Ilu-En-Ki-Ga pour un acte de partage foncier devant des juges, des prêtres et des témoins daté du 27ème jour du mois d'Ulul (6ème mois) de l'année où furent fabriqués les 2 trônes du sanctuaire, ceux de Marduk et de Zarpanit, soit la 19ème année du règne de Samsouilouna fils d'Hammourabi (an 1730 av. notre ère) ! Sans doute faut-il déjà voir en Ilu le terme général pour "dieu(x)" ? (cf. Essai sur l'organisation judiciaire de la Chaldée à l'époque de la 1ère dynastie babylonienne, Ed. Cuq, Revue d'Assyriologie et d'Archéol. Orientale, Tome VII n°2 et pour ce qui concerne * sur Amil-Naki Ka : Ch. VII, "Investiture des juges et de leurs auxiliaires p.35 concernant l'institution d'un juge (le 'rabisou'), Paris, Leroux, 1910).
Le Recueil de travaux relatifs à la philologie et à l'archéologie égyptiennes et assyriennes Vol. 34 (Lib. A. Franck, 1912) cite d'autres noms encore relevés dans des textes assyriens : les noms de dieux (Ilu) A-ma-a, (Ilu) Amal bien sûr, (Ilu) Amad, et les noms d'Amil-Bau, Amil-Egal, Amil Gerra.... Le dieu Amal sera celui des Guti, dont je résume l'épopée dans l'article qui suit, un dieu qu'ils feront suivre dans leurs bagages puisqu'on le retrouvera chez les Goths envahissant l'Empire Romain au IVème S. de notre ère, désignant même leur famille régnante, les Amali.
De l'homme de son dieu Marduk, Amil-Marduk, aux Amel-Ili, hommes de leur dieu ? :
Nabuchodonosor II (roi de Babylone de -600 à -562) laissera son trône à son fils Amil ou Amel-Marduk: Né vers -581 il a succédé à son père très peu de temps, 2 ans, et Bérose l'écrivain antique que l'on a déjà rencontré (cf. mythologie) en parle d'une façon assez dédaigneuse; mais il faut surtout noter, pour ce qui nous concerne, à son sujet, plusieurs choses :
- Le fait qu'il changea son nom; il se nommait en réalité Nabû-Suma-Ukin et au mois d'Ululu (août/sept.) de l'an -566 il prit ce nouveau nom d'Amel-Marduk mais on n'en connait pas les raisons; nous avons là l'un des tous premiers personnages qui voulut ainsi changer son nom pour prendre un nom se référant à l' "homme de son dieu" (Marduk), correspondant lui aussi à la proximité parentale invoquée des hébreux qu'ils utilisaient déjà depuis longtemps.
-Amel-Marduk est connu des textes bibliques : Bien que son règne fut court, de -562 à -560 il est précisément cité dans la Bible; quelquefois nommé Amilinus, les exégètes noteront son nom modifié de l'Ancien Testament: c'est le cas par ex. dans un texte en latin tiré du chapitre VIII de "De regno Assyriorum Persarum et Graecorum" du "Ioannis Boiorum Annalium" de 1710 qui indique bien : Amilinus Evilomerodachus (Amel-Marduk) Nabucodonosor parenti succedit; un autre le nomme également Amilinus Merodacus (Amel-Marduk) (in Monarcha XLVIII Evil-Merodach Ch. I De Ortu). Au-delà de la forme latine cognominale, il y a tout lieu de continuer à traduire pour ce temps-là et cette région-là ce nom Amel par 'l'homme', il s'agit bien de désigner "l'homme du dieu Marduk", ce qui tranche avec ce qui a été dit pour les Chaldéens plus haut. En revanche quid de l'appellation Amilinus fortement latine, bien que de même radical, donnée par l'historien grec Mégasthénès ? Il semble qu'il soit aussi nommé Ulemadar ou Hammedatha et son 3ème fils qui lui succéda fut le roi Belshazzar du Livre biblique de Daniel ! Amel-Marduk, Belshazzar ou Baltassar sont indiqués versets 27 à 90 du 2ème Livre des Rois, ch. 25 (Amel-Marduk libère le roi juif Joachim en -562 qui correspond bien à la 37ème année de sa captivité, ce qui est indiqué explicitement).
Après Amel-Marduk il y eut aussi un prince du nom d'Amil-Sukamuna, fils de Bazi, roi du pays de Sumer qui régna 3 ans 3mois, Sukamuna fut un dieu peu connu, invoqué notamment dans une stèle du temps de la dynastie babylonienne Kassite vers -1240 mais avec une pléiade divine.
- Il y eut surtout Amil-Ili-Shù, 'l'homme de ses propres dieux', avec le dénominatif divin général, où l'on voit le qualificatif Ili pour dieux, un nom bien connu en ce temps-là des hébreux, mis au singulier il sera El si je puis dire (langue des oiseaux).
- Le terme divin Ili est pourtant trouvé bien plus tôt; on l'a subodoré avec Amil-Ilu-En-Ki-Ga vu plus haut, mais ce terme n'est pas encore hébreu: ses premières attestations sont dans les régions écrivant l'akkadien cunéiforme au cours du IIe millénaire av. J.‑C., on trouve des noms de personnes et des mentions d'El (« Ilu(m) » en akkadien). Le terme est plutôt écrit par l'idéogramme sumérien « DINGIR », servant de déterminatif pour la divinité. Avant ces attestations, qui datent du début du IIe millénaire av. J.‑C., on est peut-être déjà en présence d'une forme ancienne de la désignation « El » dans les textes de la Bibliothèque royale d'Ebla (site archéologique de Tell Mardikh, en Syrie) du XXIVe S. av. J.-C., où l'on trouve un dieu « Ilu » (lecture possible), assimilé au dieu sumérien Enlil. Ce nom se trouve à la tête d'une liste de dieux comme ancêtre des dieux, ou père de tous les dieux (cf. partie mythologie). On ne sait pas vraiment ce qui se trouve derrière ces mentions d'un « dieu » plus ou moins 'initial'. Peut-être s'agit-il d'une référence au concept de divinité en général, à une divinité personnelle ou familiale (« ilu(m) », désignant aussi, en akkadien, une divinité protectrice), ou bien à une divinité particulière.
D'Amil(Amel)-Ili à Ami-El :
Du temps d'Hammourabi (~ - 1800) voici ce que dit un autre contrat : Ce sont dix sicles d'argent qui, selon un reçu scellé, ont été déposés comme part de Sili-Shamash. Celui-ci les a pris des mains de Sili-Ishtar et Amel-Ili ses frères. Son coeur est content, il ne réclamera pas. Il en fait serment par le nom du roi Hammourabi. On sait par le Code de ce grand roi que la société de son temps était (déjà) divisée en trois classes : les amelu formaient la classe supérieure des dirigeants, patriciens nobles, officiers régaliens (administratifs, militaires et prêtres), les mushkinu étaient les marchands, artisans, fermiers et les derniers étant les esclaves nommés barû. On peut croire que ces Amel-Ili (amelu) furent donc dévoués particulièrement au service des 'dieux' en général, les noms de dieux particuliers devant bien être vus comme une protection personnelle comme les noms cités le prouvent.
Ce nom générique Amil-Ili ou Amel-Ili , d'origine babylonienne, a pu donc passer et voyager avec les tribus dites d'Abraham, se transmettre d'âge en âge comme l'on disait autrefois, être utilisé avantageusement par les hébreux d'abord qui le transformèrent en un appellatif théophorique en l'agrégeant aux Elohim ou à Eloha, devenant "l'homme (au service) du (des) dieu(x)" synonyme de prêtre (cf. "Prophecy in ancient Israël" Johannes Lindblom; Ed. Bkackwell, 1962). D'Eloha à El il n'y avait qu'un pas, ce dieu ancêtre devient plus tard son parent, Amil-El ou Amel-El devient par suppression de la redondance Am(i)el; de générique il devint donc particulier; un nom particulier rattaché à un dieu particulier et propre à un peuple précis; un nom peut-être aussi redécouvert, remis en vigueur lors de l'exil à Babylone, mais qui, surtout, est parvenu jusqu'à nos jours, et constitue enfin le nom juif Amiel. Tout cela est largement développé et expliqué depuis le b.a.ba initial (oui !) dans le chapitre suivant sur le nom Amiel chez les hébreux.
Les Guti et leur dieu Amal :
Un dernier mot à propos des Guti puisque nous recroiserons ce peuple des goths dans les premiers siècles de notre ère et loin de là, dans la région insigne des Amiel que l'on nommera la Septimanie, clin d'œil de l'histoire des peuples, à grande distance de lieux et de temps, fruit du hasard ?
Car l'on sait que les goths ont, en partie, migré à la fin de la préhistoire du centre de l'Asie sans doute, dans cette région des Monts Zagros et y ont laissé le nom de Gutium, pays des Guti, c'est du moins ce que l'on pensait toujours à la fin du XIXème S. Ils ont aussi migré pour une autre part vers le nord-ouest de l'Europe, en Scandinavie, au Gotland, mais des siècles plus tard. Le rattachement des deux entités des goths et des Guti est dû non seulement à Ptolémée (~+150) citant bien des Guti comme scandinaves, mais surtout à un assyriologiste de la fin du XIXème S., Jules Oppert, dont on a cependant de nos jours réfuté les conclusions; pourtant les connexions sont évidentes à ce qu'il semble. Une preuve ? La découverte du Trésor de Pietroasa (Roumanie) présente la caractéristique d'une double provenance des objets : si à l'évidence certains sont d'origine gréco-romaine, d'autres en revanche dénotent une forte influence ...iranienne (objets datés du IV ou Vème S.). Des universitaires anglo-saxons rattachent ce peuple Guti, en partie, à des sémites, et même à des juifs qui se seraient mêlés à eux bien plus tard, après la fin de leur exil à Babylone (-539); certains d'entre ces derniers seraient en effet resté dans cette ville !
C'est bien plus tôt en tous cas que, dans la plaine dominée à l'est et nord par les hautes montagnes du Zagros (culminant à 3000 m), ces étrangers, les Guti, essayèrent de dominer les peuplades autochtones dont celles d'entre les deux fleuves, pendant quelques temps, et un texte sumérien les décrit ainsi : "ce peuple sans discipline à l'aspect et le langage des chiens. Le dieu Enlil les fit descendre des montagnes pour dévaster les terres comme des sauterelles." cela sa passa vers le milieu du XXIIIème S. avant notre ère. Cent ans plus tard, vers -2150 donc, ils sont encore décrits comme "ces scorpions...ces vipères...ils volaient les épouses, les enfants, couvraient le pays de ruines, écrasaient le peuple d'impôts..". Dans ce même temps, vers -2190 -2100, c'est la fin du royaume d'Akkad alors dont la "Malédiction d'Akkad" rédigée vers -2100 raconte la chute du glorieux empire. Une chute due à l'impiété est-il dit du dernier souverain Naram-Sin qui s'attira les fureurs divines d'Enlil : il déchaîna contre lui les peuplades sauvages de la région; celles-ci vont tout ravager : Enlil fit sortir des montagnes ceux qui ne ressemblent à aucun autre peuple, qui ne font pas partie du pays (de Sumer) , les Guti, un peuple qui n'a pas de morale, qui a un esprit humain mais des instincts de chiens et des traits simiesques....Comme des oiseaux ils ont fondu sur le sol en grandes nuées. A cause d'Enlil, ils ont étendu leurs bras sur la plaine comme un filet pour animaux. Rien n'échappait à leur étreinte, personne ne quittait leur prise. (version paléo-babylonienne de la Malédiction, I, 155-161). Ce passage rappelle le 1er extrait cité et confirme la perception de ce peuple.
Voilà donc plusieurs documents qui décrivent un peuple d'étrangers, aux mœurs quasi-inhumaines et à l'apparence physique animale; inutile de faire un dessin. Mais la plus ancienne mention au Proche-Orient de ce peuple allochtone se rencontre dans les dates des contrats de Telloh (en Chaldée, région du sud mésopotamien, datés d'~-2400) : "Année où Sargani sarri posa les fondements du temple de Anunit et du temple de Amal à Babylone...." (on verra combien ce nom du dieu Amal suivra les goths); "Année où Sargani sarri entreprit l'expédition contre Gutium". Il est probable que déjà vers l'an 3000 av. J.C. ces montagnards très frustes venus de si loin, tentèrent d'envahir la riche plaine aux cent villes de Mésopotamie et qu'ils furent repoussés par les rois d'Akkad. Ces étrangers ne parlaient pas du tout une langue d'origine locale : d'après leurs noms il semble bien qu'il faille la classer parmi les langues de l'orbite indo-européenne et de l'Asie centre-est plus précisément.
Les Guti quitteront pour une partie d'entre eux le coin, suivant les Scythes dans leurs pérégrinations, arrivant pour quelques siècles dans le nord de l'Europe, en Suède et au Gotland le bien nommé puis, dans les premiers siècles de notre ère, via les plaines centrales du même continent, ils envahiront l'espace romain en franchissant le Danube inférieur et s'installeront dans l'Empire Romain, pour une partie, les ostrogoths, en Italie, les wisigoths en Hispanie du nord et en Septimanie, le futur Languedoc des Amiel, où et au sujet du nom desquels ils ont éventuellement laissé quelque trace mais on verra cela en son temps.
Ils laisseront en tous cas leurs gènes sur place à des descendants car une partie d'entre eux ne quittera pas le coin: Sous le roi Amnuzaduga, vers - 1900, on vend en Babylonie des esclaves Guti "au teint blond" (cf. B. Meissner: Belträge zum Altbabylonischen Privarecht, p.18, n° 4-3). Ces hommes seront des auxiliaires armés efficaces des royaumes locaux, ils seront vassalisés à Babylone puis se rallieront enfin à l'Empire Perse.
(=> d'après en partie l'une des toutes premières communications à ce sujet "Une nouvelle dynastie suméro-akkadienne, les rois 'Guti'", Pr V. Scheil, Académie des Inscriptions & Belles-lettres, année 1911, vol. 55, n°4, pp. 318-327; Lib. Picard, Paris, 1911).