"Ut fama traditum est
A ce que l'on raconte, selon ce que l'on dit depuis longtemps......
Deux domaines ou ordres régissent notre vie : "l'ordre naturel" qui est stable, qui nous dépasse souvent et décrit par les sciences exactes et "l'ordre imaginaire" qui n'a de stabilité que celle que lui donnent les hommes; il peut s'effondrer parce qu'il dépend (hier comme aujourd'hui) de mythes créées par eux et que les mythes se dissipent dès que les individus d'une société, d'un groupe, cessent d'y croire (nous sommes en ce début de XXIème S. à un tel stade).
La plupart des humains comprennent mal cette idée d' "ordre imaginaire" parce qu'ils supposent que ne peuvent exister que deux sortes de réalités : les réalités objectives, les plus évidentes, et les réalités subjectives, propres à eux. Les réalités objectives existent hors de notre présence, hors de nos croyances et sentiments tandis que les réalités subjectives dépendent uniquement de nos croyances, de notre imagination, de nos sentiments personnels, de nos ressentis. Et beaucoup d'entre nous s'en tiennent à cette dualité, il ne peut en exister une 3ème.
Pourtant il existe un 3ème niveau, la réalité intersubjective. Ces entités intersubjectives dépendent de la communication et du partage entre les humains plutôt que des croyances et sentiments propres à chacun d'eux. Beaucoup d'agents interactifs de l'Histoire sont ainsi intersubjectifs, l'argent par ex. Ces réalités existent tant que le groupe humain y 'croit' et elles s'évaporent dès lors que le groupe n'y croit plus. Il en va ainsi des lois, des dieux ou des empires qui sont susceptibles de disparaitre; ils façonnent le monde un temps et ne sont plus là ensuite, remplacés par d'autres.
La vie de la plupart des gens n'a en réalité de sens qu'à travers le maillage des histoires qu'ils se racontent. Autrement dit le sens apparait lorsque beaucoup d'entre eux tissent ensemble un réseau commun d'histoires et cette véritable "toile du sens" se nourrit du renforcement mutuel des croyances dans une boucle autogène. On ne peut que croire ce que croient tous les autres, la vie de groupe l'imposera naturellement. Cependant, au fil du temps, cette toile va s'effilocher et finalement une autre toile va se tisser à sa place. , Etudier l'histoire c'est en somme examiner le tissage et l'effilochage de ces toiles de sens, voir que ce qui paraîtra important à une époque, en un endroit donné et pour tel groupe, qui deviendra et sera insignifiant voire totalement dépourvu de sens pour ses descendants ! Et ne nous leurrons pas, il en sera de même pour notre époque vis-à-vis de nos successeurs....
Les sapiens sont devenus les maîtres du monde parce que eux seuls, dans le règne vivant, peuvent tisser cette toile de sens intersubjective, toile de lois, de forces, d'entités.. créations qui n'existent que dans leur imagination commune et cela grâce à leur système de communication très perfectionné qui permet de décrire la réalité quelle qu'elle soit, et son corollaire, le langage qui leur permet de créer, partager, faire vivre comme éliminer les réalités intersubjectives; l'oralité a tenu (et tient encore) une place éminente dans la transmission, la transformation comme l'abandon et l'oubli, pour ce qui nous concerne ici, des mythes; l'écriture jusqu'à ses formes modernes (dont le cinéma par ex.) n'en sont qu'un prolongement, un perfectionnement.
DU MYTHE DE LA FICTION A LA REALITE INTERSUBJECTIVE :
L'Histoire toute entière est donc tendue entre les pôles de la fiction et de la réalité commune au groupe, depuis la Bible et auparavant les récits antérieurs du Proche-Orient jusqu'aux actuels journaux télévisés en passant par L'Iliade ou l'Enéide et tant d'autres récits magnifiques de par le monde. Quelle est la part de vérité et la part de fiction ? Que s'est-il vraiment passé et qu'est-ce qui a été (est) romancé ? L'art par exemple que l'on peut voir comme l'imitation ou la réinterprétation du vrai, l'histoire de l'art est à fortiori partagée entre ces deux couches d'existence : ce qui est vrai indépendamment de l'homme et ce que l'homme rend vrai par son imagination.
Un grand cinéaste de notre temps, un auteur authentique de cet art mis au rang supérieur (le 7ème art), il se nomme lui-même "filmeur", minimaliste dans ses techniques, pétri de judéo-christianisme dans sa jeunesse, arrive à brouiller la frontière intime qui existe entre ce que l'homme crée et ce qui est créé indépendamment de lui, entre l'histoire telle qu'elle s'écrit et l'histoire telle que nous l'écrivons. Cet homme qui peut arriver à faire pénétrer au-delà de la réalité dans une fiction c'est Alain Cavalier.
Il vient de filmer "Paradis", qui est sorti sur les écrans en Octobre 2014. L'auteur s'interroge ici sur la façon dont les récits mythologiques qui nous sont communs ont façonné sa conscience dans l'enfance. Il y improvise des récits extraordinaires tirés de l'Odyssée comme de l'Ancien Testament en utilisant simplement des objets du quotidien de son salon ou des jouets de son enfance déjà lointaine, une démarche que chacun d'entre nous peut comprendre (prendre avec soi).
Ce que je propose ici n'a pas cette ambition bien évidemment. Mes pauvres mots même s'ils étaient ciselés comme ceux d'un grand romancier (ce dont je suis bien incapable) ne peuvent, il me semble du moins, rivaliser avec des images et leur extrême pouvoir d'évocation tout comme des mots écrits ne peuvent remplacer des mots dits. Mais j'ai quand même le désir avec ces récits fabuleux, qui essaient de rappeler à la mémoire ceux qui, il y a des millénaires, les ont patiemment forgés et transmis, de les rendre sinon actuels (peut-on rivaliser avec ce que nous offre la technique , non seulement le cinéma mais tant d'électronique et d'informatique !) du moins de les faire connaître et d'y intéresser ceux qui pourront se sentir appelés à faire de même. Comme l'a écrit Denis de Rougemont "Le caractère le plus profond du mythe, c'est le pouvoir qu'il prend sur nous, généralement à notre insu" ("L'Amour et l'Occident").
Avant l'écrit qui fige à jamais les récits, l'humanité a mémorisé, longtemps transmis ses histoires contées aux générations successives par l'oralité dont il est utile de "dire" quelques mots!
L'IMPORTANCE DE L'ORALITE :
Sans minimiser l'extraordinaire développement des relations écrites, ne serait-ce qu'en raison des moyens si inventifs utilisés pour transcrire ce qui jusque là ne pouvait être retenu que par la voix (il faut lire à ce sujet "Le corps de la terre" de Pierre Bergougnoux, Ed. Fata Morgana, 2018) en un mot l'invention de l'écriture et des alphabets (dont le grec que cet auteur met au-dessus), il faut cependant souligner l'importance durable de l'oralité, mode de transmission élémentaire.
Encore à la fin de l'antiquité, durant les trois premiers siècles de notre ère, les "agrapha" ou choses non-écrites faisaient autorité, notamment dans le domaine de la nouvelle religion montante, le christianisme, pourquoi ? Ce mode de transmission immémorial, codifié, enseigné était très sûr, et pourtant il y a bien longtemps que l'écriture était pratiquée et diffusée. Encore il y a un siècle, il était courant dans nombre de régions de France et ailleurs de raconter au cours de veillées qui clôturaient les journées de labeur, de vieilles légendes des temps passés.... Il existe des cohérences intimes sur le plan des valeurs symboliques et du vécu culturel des peuples, clans ou familles (de sang comme spirituelles) que ne peut déceler la seule source de l'écrit. Toutefois cette oralité garde souvent son secret comme on l'a vu. Mais nous pouvons chercher à en établir les processus universels qui jalonnent la mémoire depuis le simple souvenir dans lequel l'ego individuel est directement impliqué jusqu'au mythe fondateur collectif où le temporel se perd en ce légendaire intemporel traversant un espace des confins très flou comme lorsqu'au cours du sommeil on parvient aux rêves....
Bien entendu relier tous ces fils mythiques et symboliques épars en une trame, un tout cohérent est, il me semble aussi, quasi-impossible dans le cadre de ces écrits qui sont censés s'intéresser surtout aux origines lointaines et même hypothétiques du nom Amiel. Mais vous allez le voir très curieusement plusieurs de ces histoires mythiques retranscrites soit par des auteurs latins antiques soit par de plus modernes personnages hauts en couleurs balbutient diversement notre nom sous des formes très latines. Ces utilisations diverses en font finalement un nom générique, un fondement pour aborder ensuite toute l'histoire assez extraordinaire de celui-ci, depuis plus de trois mille ans ! Même si encore il ne soit question pour le moment que "d'histoires" et non "d'histoire".