Les références aux AEMILII durant le MOYEN-ÂGE :
Les œuvres écrites qui nous sont parvenues du moyen-âge citent le nom Aemilien dans de nombreuses créations, fabliaux, chroniques, chansons de geste, poèmes, récits et même passions ou mystères religieux.
- Abrévié en Melianus ce fut un personnage de fabliaux présenté comme un chevalier sans peur du roi Arthur, qui, avec Bérus, chasse une bête sauvage ressemblant à un chat énorme dans les Alpes, un peu comme on chassera bien plus tard la fameuse bête du Gévaudan. Le Mont du Chat en aurait gardé le souvenir; de plus ce Mélianus du conte chevaleresque aurait, après la mise en pièce de la bête, fondé la ville de Montmélian tandis que son compagnon, aurait fondé ...Chambéry (Champ de Bérus) ! (cf. "Les environs de Chambéry..." G. Pérouse; La Fontaine de Siloé, Les marches, Montmélian, 1993).
- Messire Alexandre Amiel avec d'autres chevaliers des Chroniques de Jean Froissart participe aux "merveilleuses emprises, nobles aventures et faits d'armes advenus en son temps en France, Angleterre, Bretaigne, Bourgogne, Ecosse, Espagne, Portugal et ès autres parties...." mises en forme par cet auteur très connu.
- Je parle par ailleurs de la chanson de geste "L'entrée d'Espagne" qui a pour cadre l'épopée de Charlemagne et Roland. Composée ou compilée au tout début du XIVème S. elle sera célèbre en Italie; écrite par un contemporain de Dante, il se mêle au style militaire une connaissance certaine de l'antiquité et une curieuse érudition; on y croise les noms de Fabius, Tarquin, Vénus et dans le vers 1417 un Amilius que l'on connait : Il s'agit de l'oncle des jumeaux Rémus et Romulus, le roi d'Albe qui prit la place de son frère : "Che ne fu Amilius pour le primier roman" celui qui sera à l'origine de toute l'histoire de Rome finalement (cf. "Les épopées françaises" L. Gautier, vol. 2; Paris, Palmé, 1867).
- Une bizarre Chronique indique que Rémus, le perdant et exclu, aurait fondé la ville de ..Reims. Cette œuvre moyenâgeuse parle aussi de l'inique Amilius et de son rapport avec les célèbres jumeaux latins. Il y est appelé Amilius Oderne, roi des Latins; on le suit dans des guerres en Germanie, en Bretagne mais bizarrement au temps du roi...David (?) Et voilà même qu'il conquiert cette île d'Outre-Manche. S'apparentant sur le plan de la "réalité" historique aux contes, l'unité de temps y est inconnue. Il est vrai qu'il s'agit d'une chronique liégeoise qui fut insérée dans "Ly Myreur des Histors" (le miroir des histoires) réunies par Jean des Preis dit d'Outremeuse (publié par A. Borgnet, T. I, Hayez, Bruxelles, 1864), pour qui l'histoire ne fut qu'histoires.
DE L'USAGE D'AEMILIA DANS LES OEUVRES DE L'ESPRIT et sa POPULARITE :
Le nom aemilien au féminin aurait pu se perdre s'il n'avait été pris, comme le nom masculin, par de nombreux futurs saints et martyrs depuis les temps apostoliques. Boccace (XIVème S.) a écrit "La Théséide" un roman chevaleresque en forme de poème épique (voir article ci-après) d'après un poème byzantin intitulé "Les Noces de Thésée et d'Aemilia" dans lequel Aemilia est dotée des plus grandes vertus féminines telles que l'honnêteté et la modestie; Shakespeare se serait inspiré ensuite de l'œuvre de Boccace dans "Le songe d'une nuit d'été" (via Chancer selon certains); chez Chancer et Shakespeare c'est Hyppolite qui est l'amante de Thésée et Aemilia (Emilie) celle de Palermon, Emilie étant alors la sœur de Thésée (vous suivez ?). Chancer reprit en effet ce thème dans sa "Légende chevaleresque" et il fut aussi imité en français cette fois pour l'amusement de la Reine Claude, l'épouse de François Ier au début du XVIème S. Emilia, un nom jamais totalement éteint en Italie, devint un nom de roman comme celui d'une grande sainte princesse de Germanie, Amalie de Mansfeld ou Amélie de Wurtemburg qui sera plus connue sous le nom de Sainte Amalie ou Amélie. Des Amalie ou Amelie fleuriront alors en Allemagne et parviendront en Angleterre avec la fille de Georges II, la princesse Amelia, nommée généralement Princesse Amélie. Emilie, Emile, Amélie se répandront alors en France et ailleurs; Rousseau en nommant le personnage de son roman sur l'éducation Emile provoquera un véritable raz-de-marée européen durant tout le XIXème S. (voir page qui lui est consacrée) sur ce prénom à partir de la Révolution de 1789 quand Emily sera propagé par les anglo-saxons dans toutes leurs colonies.
(=> Chronique Name-Fancying du "Monthly Packet" Vol. 8 n° XLV de septembre 1854, chap. VIII "Names from the latin"; "History of christian names" de Ch. M. Yonge 1884 pp. 140-141).
De nos jours ce prénom fait toujours recette, en faveur pour prénommer les filles surtout et toujours dans l'orbite anglo-saxonne; notons à ce sujet que le prénom courant Amy s'y prononce [émi] en une de ces curiosités dont les langues ont parfois le secret (langue des oiseaux ?) et qui résume et révèle par là l'origine latine du radical roman. Il est toujours l'objet aussi d'œuvres modernes contemporaines comme "Emilie" opéra de la finlandaise Kaija Saariaho ou "Emilie-Jolie" du compositeur français Philippe Chatel sans parler des personnages innombrables de la littérature comme du cinéma.
LA THESEIDE de BOCCACE :
-1- La Théseide des Noces d'Aemilia est le tout premier poème épique italien; composé entre 1339 et 1341 Boccace y raconte les guerres que le héros grec Thésée mena contre Thèbes et les Amazones. Divisé en 12 chants de stances de 8 vers, le poème imite autant l'Enéide de Virgile que la Thébaïde de Stace. Bien que l'épopée en soit le thème principal, Boccace parle aussi d'amour. On y lit le récit de l'affrontement de deux jeunes thébains de sang royal nommés Palemon et Arcita, prisonniers de Thésée, qui cherchent l'un comme l'autre à conquérir le cœur d'Aemilia, sœur d'Hyppolite la reine des Amazones. Ils sont donc rivaux et vont se battre en duel pour savoir lequel épousera Aemilia : Arcita est le vainqueur mais au cours de la parade présidée par Vénus qui l'honore en tant que tel, son cheval est renversé par une Furie et Arcita est mortellement blessé. Sentant sa mort imminente Arcita demande à Palemon qui est son ami d'épouser Aemilia, ce qu'il fera après les lamentations et la période de deuil. Un rondeau termine le poème pour s'accorder avec les festivités des noces finales. Voilà un récit qui ne peut que nous rappeler une autre chanson de geste, celle d'Amis et Amile dont je parle plus haut et que vous trouverez en détail dans les dossiers spéciaux, et les œuvres sur le même thème indiquées dans l'article précédent.
-2- La version pour la reine Claude de France :
Composée par Anne Mallet de Graville, dame d'honneur de sa majesté la reine Claude, autour de 1521; il est intitulé "Le Beau Romant (sic) des deux amans Palamon et Arcita et de la belle et saige Emilia". Il s'agit d'une traduction abrégée du célèbre poème comportant quand même 3600 vers (l'original plus de 10.000 !), travail effectué d'après une traduction en moyen français de 1475. Adaptation faite pour Claude de France en un roman selon certains, et destiné à charmer ses loisirs et ceux des dames sentimentales dans lequel le caractère épique et classique fut effacé. Anne de Graville fut ainsi reconnue comme une vrai "dame de lettres" de son époque et vaillante défenderesse de la langue françoise bien que celle-ci soit encore seulement 'moyenne'!
LE MYSTERE DE LA PASSION dans le THEATRE RELIGIEUX :
Il fut écrit par Raoul Gréban en 1452; c'est un drame religieux représenté à Abbeville mais il était déjà célèbre alors, venant de Paris. Il fait intervenir plusieurs Aemilius dont un vendeur d'oiseaux et un chevalier (en réalité c'est un soldat romain habillé en chevalier pour que les gens du peuple comprennent avec leurs références). On a là l'un de ces "grands mystères" que l'on faisait représenter devant les églises. Gréban fut donc un "faiseur de mystères" travaillant sur commande de l'Eglise. Ces représentations théâtrales gratuites réalisées pour l'édification publique eurent lieu entre 1450 et 1550 et ce mystère-ci fut le 1er des très grands : il durait 4 jours et il y avait 220 personnages ! Il fut joué dans tout le nord, l'ouest et le centre de la France; Pour le Midi voir nota bene plus bas. D'autres "passions" font curieusement référence à des oiseaux et à des Aemilius; pourtant on ne peut affirmer que ces Aemilius soient de mêmes personnages. Il faut préciser ou rappeler que l'Evangile parle bien de marchands de pigeons que Jésus chassa du Temple comme il chassa aussi des changeurs d'argent. On voit ces marchands par ex. dans la "Passion dite d'Arras" qui lui est d'ailleurs sans doute antérieure et il ne semble pas que Gréban s'en soit inspiré. Il y a certes des ressemblances qui tiennent aux sources qui sont les mêmes. Quelques expressions et vers isolés sont aussi analogues mais il faut dire que ces œuvres comportent entre 25.000 vers pour l'un et 34500 vers pour l'autre. Une dernière "passion de Valenciennes" introduit dans une scène un vol de pigeons par Barrabas; alors qu'il s'apprête à les manger voilà qu'un chevalier de Pilate, du nom d'Emilion, emmène les bandits; ils pourront ainsi figurer en bonne place au Prétoire comme au Golgotha. Chez Breban on notera que l'un des marchands du temple dont Jésus renverse les tréteaux se nommera lui aussi Emilion et curieusement que vend-il ? Des oiseaux et pigeons. Chez lui aussi un autre Emilion est chevalier de Pilate; un autre porte aussi le même nom que dans la Passion d'Arras ! La coïncidence parait bien difficile à admettre. (cf. "Le mystère de la Passion en France du XIV au XVIème S...." E. Roy; Dijon, Damidot & autres, 1903). Il est utile de rappeler que l'histoire de la Passion parle bien, d'une façon fragile sans doute, de quelques Aemilius (Tullius & Longinus): voir partie Empire Romain Premiers chrétiens.
NB : Remarque pour ce qui concerne ce genre de représentations et d'écriture dans le Midi de langue d'oc : Comme pour d'autres sujets il y eut là la volonté manifeste d'ignorer cette littérature par les historiens du nord, au début du XXème S., ce qui est devenu la référence pour tout le XXème S. Il faut arriver en effet au tournant de ce dernier pour voir une 1ère synthèse des études éparses et régionales qui se sont penché sur cette question. L'auteur de cette synthèse écrit : "Parent pauvre de nos études, le théâtre d'oc est en effet souvent boudé par les médiévistes....Les spécialistes de l'occitan lui préfèrent la prestigieuse lyrique, fleuron de la littérature méridionale... (c-a-d les troubadours). Evidemment tous genres théâtraux confondus on préfèrera la production en langue d'oïl plus richement représentée que son pendant d'oc. L'éminent 'romaniste' de la fin du XIXème S. A. Jeanroy put même souligner vertement L'asservissement toujours plus étroit de son répertoire à l'imitation du théâtre du nord, l'extrême faiblesse de ses textes, la maladresse de l'exécution, la pauvreté de la versification et la monotonie des sujets. ! Et ses successeurs suivirent ce soi-disant romaniste... ils ne retinrent aucun nom de fatiste (faiseur de mystères) célèbre qui puisse faire pendant au Gréban du nord; les quelques études régionales ne sont pas parvenu à la lecture des historiens reconnus de Paris. Pourtant on sait que des pièces françaises ont été jouées dans le midi comme la "Passion d'Auvergne" et la synthèse parle d'un quinzaine de textes écrits en langue d'oc représentant ~42.000 vers, entre la fin du XIème S. et la 1ère moitié du XVIème, originaires des quatre coins de la vaste Occitanie, du Poitou à la Catalogne, de Béziers aux Hautes-Alpes et de Provence; pièces où toutes les formes et thèmes du théâtre liturgique ou semi-liturgique sont abordés. Voilà qui est dit et rétabli.
(=> "Le théâtre religieux médiéval en langue d'oc" N. Henrard, Fac. de Philosophie & Lettres de l'Univ. de Liège; Droz, Genève, 1988).
L'HISTOIRE D'AMIS ET AMILE :
C'est une histoire édifiante, une histoire-type qui nous est parvenue sans doute d'Orient par les Byzantins, mise en forme dans un cadre historique géographique et religieux purement européen. Depuis ce sont des héros de la geste du 1er empereur européen, Charlemagne, lors de sa campagne contre les Lombards; ces mythiques personnages devenus de véritables martyrs ont leur tombeau, leur jour de fête; on peut voir leur cénotaphe à Mortara en Lombardie, entre Novare et Pavie et ils sont fêtés tous les 12 octobre sous les noms de St Amique (Amicus, Amis) et St Amele (Amellus, Amillus, Amelius). C'est l'histoire d'un miracle dont le prologue dit : Cy commence un Miracle de Nostre Dame d'Amis et d'Amille, lequel Amille tua ses deux enfants pour gairir Amis son compaignon, qui estoit masel; et depuis resuscita Nostre Dame. Cette histoire fit non pas le tour du monde que l'on connaissait si peu encore mais bien le tour de l'Europe, traduite non seulement en français mais aussi en anglais, allemand, breton, italien et même en islandais. Elle a fourni le sujet à un drame italien du XVème S, comme à une tapisserie historiée de Charles V ou à un tableau d'Assise. Elle fut à nouveau rimée en vers français au XIVème S. sous le titre de "Dit des Trois Pommes", fut mise en prose et, enfin, après avoir été imitée en Espagne, elle finit par descendre dans la rue, devenir populaire sous la forme d'une ballade faisant les délices du peuple après avoir charmé le clergé et la noblesse. Le texte latin donne les noms d'Amico et Amelio, dans le nord de la France on parle d'Amys et Amille, en Angleterre c'est Amys et Amilion Gallicé (le gaulois ?) voire Amiloun...!
LA GUERRE DE TROIE de BENOIT DE SAINTE-MORE :
C'est la principale œuvre en langue romane (vieux français) qui traite de la Guerre de Troie au Moyen-âge. Œuvre majeure de Benoit de Sante-Maure (autre orthographe de son nom) elle a été composé en 30.000 vers dans les années 1160-1170. Benoit sera ensuite un poète tourangeau attaché à la cour d'Aliénor d'Aquitaine et d'Henri II Plantagenêt à partir de 1174. La duchesse de Rohan au milieu du XVème S fit faire une copie de l'oeuvre romane qui sera détenue ensuite par le roi François Ier, c'est de nos jours l'exemplaire de la BNF (côte fr.684 dénommé "Le miroer du monde ouquel est contenu plusieurs hystoires... Chronique universelle depuis la Création jusqu'à la venue de J-C....", daté d'entre 1449 et 1496); L. Constans l'a publié en 1908 (Paris, Didot) pour la Société des Anciens Textes Français. Il s'agit du fruit d'une grande imagination sur des souvenirs de l'Antiquité, narrant la guerre fameuse dont on ne sait si elle a eu lieu réellement, et qu'ont copié depuis Homère son premier narrateur, beaucoup d'auteurs ultérieurs comme on va le voir.
Evoquée donc pour la 1ère fois par Homère dans son Iliade et Odyssée, cette histoire sera enrichie à travers les siècles par tous les auteurs qu'ils soient poètes ou prosateurs (historiens...). On doit citer les plus grands des anciens, les tragédiens grecs Eschyle Sophocle et Euripide ou l'historien Hérodote, chez les latins romains le poète Virgile et son Enéide ou Ovide dans ses Métamorphoses; le poète gallo-romain bordelais Ausone. Quand au moyen-âge il est difficile de tous les citer mais on doit retenir l'anglais Geoffroy de Monmouth plus connu pour les histoires du roi Arthur et le Graal et bien sûr notre Benoit de Sainte-Maure ainsi que ses successeurs que nous allons indiquer. On peut ajouter Dante, Boccace ou l'anglais Chaucer, Christine de Pisan...
Il s'y trouve un personnage plusieurs fois cité dont le nom très diversement écrit vaut d'être noté; évidemment il s'agit d'un aemilien antique, très supposé acteur du drame nommé soit Emelius, soit Emelus, Eumelus, voire Emelin, Emelins, mais aussi L. Aemelius et dont il est posé qu'il est roi de Pigris (ou Pygris), capitale donnée à la Tryphilia, une région grecque méridionale de l'Elide qui fit parler d'elle pour la dernière fois en -371 dans l'histoire réelle et qui dès lors fut englobée dans la plus connue Arcadie ! Les auteurs se serviront de copies d'un auteur antique nommé Darès le Prhygien qui aurait écrit son histoire de la destruction de Troie vers le IV ou Vème S. de notre ère et dans laquelle figurait "Eumelus roi de Tigris". Ils nommeront le personnage aemilien d'après lui, dont Benoit de Sainte-More, mais selon leur langue : chez le tudesque (allemand) Hebert Von Fritzlar (in "Liet von Troye") Emelius devient "Merius Von Tygris" , pour l'italien Guido delle Colonne ce sera "Melius de civitate sua Pigris", il écrivit vers 1243-1280. C'est sous cette dernière forme qu'on le trouve dans le manuscrit de la BnF. de la fin du XVème S. et L. Constans indiquera dans son édition moderne, pour le vers 25826, toujours au sujet de la multiplicité d'écriture de ce nom aemilien: "Thoas le reis de Emelius" dont une note précise : Toas et roi (ou li rois) Eumelius (ou Em., et Emelis, et Emelys) !!
Par le texte issu de Darès sur les protagonistes et le catalogue des nefs (bateaux) engagés dans cette histoire, on verra que Thoas est lui aussi un prince, prince de l'Etolie et qu'Eumèle (nommé en un endroit, encore, Eumelus Pheraeus, Eumèle de Phère) rejoint les autres quarante-six princes grecs dans le port d'Athènes; leurs douze cent onze vaisseaux voguèrent alors vers les côtes d'Anatolie et Troie, au secours du roi Priam attaqué par les Pélopides; dans les proches de ce roi on ne sera pas surpris de trouver un certain Ascagne, fils d'Enée et de Créuse, la fille du roi Priam, que l'on retrouvera dans le mythe fondateur de Rome. Un père est donné à Eumèle, c'est Admète, personnage peu valeureux puisqu'il avait, dit le texte, racheté jadis sa vie aux dépens de celle de son épouse !
Quoi qu'il en soit Eumele apparaît dans le long poème de Benoît plusieurs fois, aux vers suivants : v. 5649 (le nom est écrit Emelius), où il amène de Pygris dix vaisseaux; v. 8245-8246 (Emeleus) où il forme le XVIème corps à la IIème bataille; au v. 9499 où il est nommé Eumelus; puis joutant contre Gilor d'Agluz, ils se désarçonnent mutuellement aux vers 9945 à 9948 et là il est bien nommé L. Aemelius; enfin vers la fin, au v. 25826 il jure les conditions de paix convenues avec Antênor, le vieux noble troyen beau-frère du roi Priam.
Mythe fondateur de la Grèce, c'est le récit de la guerre civile d'où nait la société; guerre débutée pour l'amour d'une femme, elle se termine grâce à la ruse d'un homme. Cet homme c'est Paris bien sûr, il tuera par ruse Achille en parvenant à le toucher par une flèche empoisonnée au seul endroit de son corps vulnérable, son talon et c'est lui aussi qui aura l'idée du fameux cheval creux où se cacheront les soldats, offert en cadeau aux incrédules troyens. La ville envahie, les troyens massacrés, incendiée elle est rasée; en réchapperont Hélène mais aussi Enée, le prince troyen portant Anchise, son père, sur les épaules et tenant son fils Ascagne par la main, c'est ainsi du moins qu'il est souvent représenté.
Enée héros grec passera chez les romains, il sera comme on l'a vu considéré chez eux avec son fils Ascagne pour les bases albaines, comme le fondateur mythique de leur cité insigne, Rome, d'où d'ailleurs le nom du chef d'œuvre de Virgile, l'Enéide. Peut-être doit-on voir dans ce rattachement l'évolution dans les récits du nom d'Eumèle par sa déformation logique en un Aemilius latin, nom que les romains portèrent haut dans leur histoire, réelle comme mythique, on l'a vu aussi. Jusqu'aux historiographes et poètes médiévaux qui rattacheront à leur suite la noblesse franque à Enée mais aussi aux héros latins. Troie a perdu la guerre et n'existe plus mais elle continue de vivre dans Rome puis dans les Francs en une continuité historique; l'héritage gréco-romain ancien puis moderne de notre civilisation occidentale passe aussi par ce genre d'héritage mythique antique. Peu importe finalement de savoir si cette guerre a existé ou pas, nous savons bien, vous comme moi, que tout mythe a quelque part un fondement historique; les découvertes archéologiques ont bien prouvé l'existence de la cité, non ?