On vit vers la même époque les illustres victoires de Domitius sur les Arvernes et de Fabius sur les Allobroges. Fabius, petit-fils d'Aemilius Paulus dut à sa victoire le surnom d'Allobrogicus. Velleius Paterculus - Hist. Rom. II,10.
Le consul Q. Fabius Maximus Aemilianus... remporta une victoire sur les Allobroges et sur Bituitus, roi des Arvernes. Tite-Live - Hist. Rom. (Periochae) LXI.
Dans cette double mêlée pour laquelle les auteurs sont exactement en phase, s'est joué l'origine de la romanisation des contrées méridionales de la Gaule. L'importance de ces deux batailles proches qui, de nos jours sont oubliées dans l'histoire de notre pays, étaient essentielles pour les Romains : le nombre d'auteurs qui en parlent est éloquent; outre les deux auteurs cités on peut notamment ajouter Florus (Abrégé d'Hist. rom. III,3), Orose (Hist. contre les Païens V,14), Pline (Hist. Nat. VII,166), Strabon surtout (Geogr. IV, 1,6 & IV 2,3) ou César lui-même (Guerre des Gaules I,45). Je prends un plaisir non dissimulé pour parler de ces évènements essentiels pour l'histoire de notre nom sur cette terre où les Amiel sont encore concentrés de nos jours.
Q. FABIUS MAXIMUS AEMILIANUS et les premières conquêtes en GAULE entre ALPES et PYRENEES :
- Note préliminaire : Avant ce qui est décrit ici, il est utile de préciser qu'il y eut auparavant d'autres victoires sur les Celtes, telle celle de Aemilius Papus qui fit avec leurs dépouilles des trophées. (cf. Appien d'Alexandrie, "Hist. Rom.", T. IV, L. IV, Celtique, CH. 2). Ces victoires dont on ne sait exactement à quel peuple précis elles font référence sont sans commune mesure avec celle dont je vais parler.
- La bataille des Monts Cémènes : Les consuls de la ville de Valence ont commandé une Histoire de leur ville à Claude Rogier qui livre son travail de recherche en 1572 (ce document se trouve dans les délibérations municipales); il y est écrit à propos des lointaines origines du lieu que c'est "à une lieu (sic) dudict Valence ou environ, (là) où l'Isère entre dans le Rhône, lequel lieu est appelé, selon certains, Confoulens (confluent), qui a été illustré par la victoire de Fabius Maximus Aemilianus (....)". En effet et sans doute l'historien du XVIème S. avait-il lu Strabon, le géographe antique (Strabon, 4), c'est près de Valence, dans la vallée du Rhône, qu'eut lieu l'une des deux batailles mémorables entre les troupes romaines dirigées par deux valeureux généraux, Fabius Aemilianus et Domitius Ahénobarbus et les Gaulois; l'issue de la deuxième mêlée qui eut lieu le 15 des Kalendes de septembre an 632 de Rome soit le 17 août -121, fut l'écrasement des Gaulois Allobroges et de leurs alliés et la première mainmise de Rome sur la Gaule chevelue. Les Arvernes furent repoussés et contenus (pour le moment) dans le Massif Central qui prendra le nom d'Auvergne en référence à leur nom. De même les Rutènes du sud du même massif seront contenus dans la partie du massif qui prendra leur nom, le Rouergue, et dont la ville principale est Rodez, à la limite des Cévennes et de la Montagne Noire. Par contre les peuples occupant les régions entre Pyrénées et Rhône, le long du Golfe du Lion et qui n'étaient pas gaulois à proprement parler, appelés Volques Tectosages à l'ouest (sauf parmi eux les Tolosates assez celtisés par contre), à partir du Seuil de Naurouze, Elysiques dans la région intermédiaire des basses Plaines de l'Aude (oppidums bien connus d'Ensérune, Montlaurès, Pech Maho), Ataciens dans la région intérieure audoise (du nom Atax, le fleuve Aude), ou Volques Arécomiques dans la région côtière depuis l'Hérault jusqu'au Gard, ainsi que ceux du Vivarais, pour ne citer que les principaux, tous ceux-ci furent facilement intégrés à la Provincia sénatoriale romaine, avec les peuples d'entre Rhône, Alpes et Méditerranée (Allobroges). Remarquons que ces peuples du Golfe du Lion plus ibères que celtes (gaulois) étaient séparés du reste de la Gaule par le Massif Central et le seuil du Lauragais et tournés sur la Méditerranée dans des régions peuplées, avant les ibères, sans doute par des ligures, peuple d'Italie navigateur et commerçant. On ne trouve à propos de ces peuples d'entre Rhône et Pyrénées aucune résistance qui fasse suite à l'annexion de la Provincia d'entre Rhône et Italie et à leur romanisation: il se peut, selon certaines hypothèses actuelles, que ces languedociens de l'antiquité, dont on sait qu'ils étaient celtibères (ibères surtout), aient été peu avant englobés aux nouvelles possessions ibériques romaines et dont l'issue par la prise de Carthage ( en -202, annexion de l'Afrique du nord) puis de Numance (en -133, annexion de l'Hispanie Citérieure) terminent enfin les Guerres Puniques; il semble logique qu'ils aient pu suivre le sort de l'Hispanie Citérieure (majeure partie de la péninsule sauf le sud et la Lusitanie, Portugal actuel).
- Une conquête stratégique : Il faut dire aussi que cette conquête du passage terrestre entre l'Italie et l'Espagne, déjà pratiqué par Hannibal en -217, ses troupes et ses éléphants, pour aller narguer les romains chez eux via les Alpes depuis l'Ibérie (et, même, par Gibraltar, depuis l'Afrique du nord), était devenue évidente pour finir d'assurer une liaison pratique par terre avec ces nouvelles possessions. S'il ne restait à conquérir que la Provence on peut alors comprendre que, déjà, en -154 l'armée romaine soit intervenue contre les ligures et d'autres peuples pour libérer Antibes et Nice, colonies de Marseille la grecque qui était menacée par une coalition celto-ligure et à nouveau l'année suivante en vertu d'un traité d'assistance mutuelle. Ils vont peu après mettre un pied dans cette Provence convoitée en fondant Aquae Sextiae, Aix-en-Provence, pour surveiller le débouché de la vallée du Rhône sur Marseille et la Méditerranée provençale et ligure, leur mer, Mare Nostrum. On comprendra dès lors que des heurts avec les gaulois s'en soient suivi: les Allobroges alliés aux Salyens, ces derniers soutenus par les Arvernes; les romains feront alors alliance avec les Eduens, ennemis jurés des Arvernes...mais on ne parle pas des peuples celtibères. Marseille demande à nouveau de l'aide en -122 : a lieu alors dans la vallée du Rhône une première grande bataille décisive où Domitius Ahénobarbus écrase les Allobroges; le peuple arverne avec Bituit à sa tête entre alors dans le conflit mais dès -121 il est donc battu amèrement et définitivement par Q. Fabius Aemilianus Maximilianus secondé par Domitius comme on l'a dit; ce qui vaudra amplement à ce Fabius, petit-fils du grand Aemilius Paulus car fils de Q. Aemilius adopté dans la gens Fabia, le surnom d'Allobrogicus, un Triomphe et l'un des premiers arcs de triomphe bâtis en pierre attestés, élevé au commencement de la Via Sacra à Rome. Rapidement, en -118, la 1ère colonie romaine hors d'italie, du nom de Narbo Martius sera fondée par Domitius près du Lac Rubresus et de l'Aldae (nom latin de l'Aude), en un lieu stratégique proche de la mer et doté de ports mais bien protégé par l'île ou presqu'île du massif littoral de la Clape, un lieu à mi-chemin entre Rhône et Pyrénées au débouché maritime du futur axe Atlantique-Méditerranée, sur l'un des rares fleuves de la région, l'Aude, c'est Narbonne; cette rapidité peut surprendre mais elle s'explique très bien si l'on considère, là encore, que la région fut sans doute déjà acquise aux romains. Les premiers habitants de Narbo seront 3000 colons romains; pour la plupart issus de la plèbe d'après ce que l'on sait mais il y viendra rapidement des membres des illustres familles patriciennes dont des Aemilii.
- Le lieu stratégique de Valence : Selon certains auteurs modernes ce serait à une mystérieuse "Aeria" que se serait déroulé la fameuse bataille où 30.000 soldats romains taillèrent en pièces 20 myriades de Celtes : Bousculés par les énormes éléphants (on avait retenu la leçon des carthaginois) la débâcle des Gaulois, commandés par Bituit et aidés, eux, de simples molosses, aurait été renforcée par l'effondrement du pont de bateaux qu'ils avaient établi précipitamment pour pouvoir fuir un lieu qui ne fut pas à leur avantage. Les auteurs latins chiffrent sans doute exagérément entre 120 à 150.000 morts les pertes gauloises. Strabon dira très précisément que ce carnage eut lieu "au point de jonction de l'Isar (Isère), du Rhône et du Mont Cémenne" donc bien à ce désormais célèbre confluent, la Cémenne ou Cévenne de nos jours étant le contrefort sud-oriental du Massif Central. Les anciens appelleront d'ailleurs Cévenne non seulement les Cévennes actuelles qui sont entre le Rhône et l'Hérault environ mais toute la partie des extrémités du Massif Central entre la Montagne Noire et la vallée du Rhône qui sera la frontière provisoire de leurs possessions ici jusqu'à la Guerre des Gaules de César, 70 ans plus tard.
On a pu penser que le nom même de Valence (de 'vaillance' ?) fut donné par les premiers romains à cette première implantation notable en Gaule en référence à une "nouvelle Rome" car on dit que le nom 'secret' de la métropole latine phare de la romanité était Valence. Quant à cette victoire elle ouvrait donc la porte à un bel avenir pour toute la région entre Pyrénées et Alpes de ce que l'on appellera rapidement la Provincia Romana ou Narbonnaise du nom de sa ville principale Narbo, Narbona, Narbonne, desservie notamment par la Via Domitia créée par Domitius Ahénobarbus sur l'ancienne voie héracléenne, lequel fut apparemment chargé d'organiser la nouvelle province. Cette région sera encore nommé Gallia Togata, la Gaule en toge; ce qualificatif était déjà employé pour qualifier la Gaule Cisalpine, la partie de l'Italie au nord de la plaine padane, conquise auparavant; il semble logique que cette partie de la Gaule d'au-delà des Alpes, la Gaule Transalpine, partie de la Gaule tout court ou Gallia Bragata, celle où les autochtones bien qu'aux cheveux courts portaient des braies (sorte de pantalon dont le vocabulaire a retenu les bragues et la braguette !) en guise de vêtement ait bénéficié de la même appellation en raison du statut de ses habitants, citoyens romains. Enfin pour être complet le reste de la Gaule (hors ces parties méridionales) était appelée Gallia Comata, régions où les hommes portaient les cheveux longs (signe d'une certaine barbarie pour les romains, à cette époque) lesquels ne seront romanisés qu'avec César au milieu du Ier S. av. J.C.
- La Via Domitia parcourra alors toute la zone littorale, se déroulant sur les traces du chemin d'Hannibal, depuis le Perthus pyrénéen jusqu'aux Alpes, par Arles, vers le Col du Grand St Bernard, puis plus tard via le long de la côte provençale par Antibes et Nice (prolongement de la Voie Aurelienne côtière italienne jusqu'à Arelate, Arles, 2ème métropole de la Narbonnaise). Ajoutons que Narbonne sera aussi un grand carrefour de routes avec la création ensuite de la Via Aquitania qui, partant de cette 2ème Rome permettra, plus tard, via le Seuil de Naurouze cher à mon cœur, de relier Toulouse, Bordeaux, l'Atlantique, desservant l'autre partie majeure de la Provincia, en gros le territoire audois actuel, le Lauragais jusqu'à la large vallée de la Garonne à Tolosa; après la Guerre des Gaules la voie se prolongera le long de la Garonne jusqu'à Bordeaux, desservant toute la moitié sud des Gaules.
- L'Aemiliani Tropeum : On sait par les auteurs anciens qu'un monument luxueux nommé ainsi, fait de deux tours de pierre blanche, fut édifié au lieu de la bataille des Monts Cemènes pour commémorer cet évènement important qui allait ouvrir l'accès à de plus grandes conquêtes encore vers le nord (voyez la Guerre des Gaules de César) et se terminer avec l'Empire Romain d'Occident et sa chute en 476 de notre ère. Toute notre civilisation occidentale européenne prend ses racines dans cette bataille décisive et pourtant qui s'en souvient aujourd'hui, ne serait-ce qu'en France ?
Pendant longtemps on a voulu voir dans les ruines d'un monument romain situé à Andance (au nord et assez loin de la confluence et du site supposé de la bataille) nommé La Sarrasinière, les restes bien anonymes de la tour-trophée; même si les récentes fouilles n'ont pu formellement démentir cette attribution en lui donnant une fonction supposée de tombeau, il semble peu probable, malgré sa forme inédite voire improbable pour un sépulcre, qu'il ait pu être pourtant ce trophée. Il semble logique qu'il n'ait pas laissé autant de traces que d'autres comme celui de Pompée au Perthus ou le magnifique Trophée de La Turbie, près de Fréjus, aux deux extrémités de l'arc méditerranéen de la Gaule, lesquels furent construits avec d'autres moyens plus importants et surtout bien plus tard.
Il faut quand même souligner le caractère inédit de l'édification de ce monument: En effet tout comme l'arc de triomphe qu'élèvera ce Fabius Aemilianus, commémorant son Triomphe sur les Allobroges, à Rome, qui sera l'un des premiers et le plus ancien connu précisément, de même ce monument élevé sur les lieux mêmes de la défaite gauloise sera aussi une nouveauté; "jamais en effet le peuple romain n'insulta (ainsi) la défaite d'un ennemi vaincu", dit Tite-Live, et il ajoute "cet usage était inconnu de nos ancêtres"; on peut donc conjecturer que cette victoire fut sans aucune commune mesure avec les victoires passées. Cette innovation signe le caractère pérenne de la soumission imposée, l'emprunt aux vaincus eux-mêmes de leur rite de victoire dans cette édification comparable à un tumulus fait des dépouilles ennemies (ce que l'on appelle les trophées). Et l'insulte infligée est double : innovante et ineffaçable (au moins pour quelques siècles !); il me semblait nécessaire d'en raviver le souvenir, du moins ce que le temps n'a pas réussi à effacer.
(=> Les victoires de Fabius Aemilianus et de de Domitius si importantes pour l'extension de l'Empire en Gaule, Belgique, Bretagne etc... ont souvent été reprises non seulement par les auteurs antiques, Tite-Live, Florus (2, 4), Velleius Paterculus dans leurs "Histoire Romaine" respectives, Sénèque dans son commentaire sur la "Première action contre Verrès" où il parle du premier Arc de Triomphe de Rome, celui de Fabius, ou Jules César dans la "Guerre des Gaules" (I, 45), mais aussi par les historiens français comme dans : "L'Antiquité expliquée et représentée en figures" T. IV de Dom Bernard de Montfaucon à Paris, chez Delaulne en 1719, "Essai historique sur la ville de Valence ..." de J. Olivier (Paris, Didot 1831) , "Mémoires sur diverses antiquités du département de la Drôme et..." A. Charlieu (Valence, Aurel, 1814) ou, plus récemment "Puzzle gaulois - Les Gaules en mémoire" de M. Clavel-Lévêque, Centre de Recherches d'Histoire Antique, Vol 88, Univ. Besançon, Annales Littéraires, 396; Les Belles Lettres Paris 1989).
Lorsque l'on examine en détail l'arc de triomphe d'Orange, bâti sous l'empereur Auguste, donc vers le début de l'Empire, on voit que les haut-reliefs qui y sont gravé représentent des Gaulois Chevelus battus par les Romains (référence aux gaulois du temps de César ou des Allobroges précédents?). Mais il faut surtout avoir à l'esprit qu'Orange est située au débouché de la vallée rétrécie du Rhône et que ce monument est au nord de la ville sur la route principale qui la parcourrait, donc il pourrait très bien avoir été édifié pour rendre hommage à cette première conquête de la Gaule quelque 100 ans plus tôt, un peu plus haut dans la vallée. Précisons aussi que l'on ne sait pas vraiment à quoi ce monument fait référence; d'autres attributions évoquent Marius, César, une bataille navale, le règne d'Auguste....?
Tout est en place pour la romanisation. Voyons maintenant comment s'est diffusé par assimilation émulatrice ou directement le nom aemilien romain, non seulement dans la région narbonnaise mais dans tout l'Empire.