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Le Mont Vully est une colline au nord du Lac de Morat, en Suisse culminant à 635m d'altitude, dérisoire mont dans ce pays alpin possédant de bien plus hautes montagnes. A son modeste sommet sont les restes d'un oppidum celtique datant au moins du IIIème S. avant notre ère. Depuis cette hauteur pourtant remarquable se déroule un panorama exceptionnel sur les Alpes bien sûr, le Jura et surtout les trois lacs qui l'entourent, dont le Lac de Neuchâtel, le faisant ressembler finalement à une île. On dit que dans les temps celtiques ou plus anciens encore le mont n'existait pas; cette région possédant tant d'eaux ayant été à cette époque un territoire marécageux, jusqu'à ce que sans doute là comme ailleurs en Europe, les moines défricheurs s'en occupent, relèguent les eaux en les canalisant dans les zones les plus basses assainissant ainsi des terres appropriées pour l'agriculture. De nos jours encore le vignoble couvre ces terres nouvellement émergées grâce au travail des hommes. Cette situation originale du mont entouré d'eaux a donné le conte suivant écrit par Anne-Christine Rigolet pour le Festival Vully Celtic organisé sous l'impulsion de l'Association Pro Vistiliaco et le concours de sponsors locaux dont le journal La Liberté qui l'a publié. Mais il est un peu long et je ne pourrai en donner ici qu'un résumé; qu'on me pardonne.
Il était donc une fois un pays alpestre où les eaux régnaient en maître; un plateau dont les eaux grises s'étendaient partout. C'était un pays humide, gris, plat et froid, triste, rempli de bruits étranges et étouffés dans lequel de petites îles à peine émergées couvertes d'une végétation abondante et sombre abritaient des lutins formant le petit peuple des Brumes. C'était le pays du brouillard permanent et épais, des silences lugubres, des oiseaux noirs, du bois pourri; et les lutins passaient leur temps à maintenir les berges de leurs îles constamment mangées par les eaux. De rares hommes habitaient aussi ces minuscules terres perdues dans l'océan des marais. Il leur semblait qu'ils vivaient dans l'antre de la mort en permanence; évidemment beaucoup étaient malades et supportaient mal ce climat détestable; sans compter les esprits mauvais qui s'en donnaient à cœur joie pour piller leurs maigres récoltes.
Et le grande prêtresse des fées nommée Auroria ne pouvait que constater combien ses adorateurs étaient malheureux; elle aussi se languissait du soleil que l'on ne voyait jamais et en avait assez de cette humidité qui gâtait tout jusqu'à ses propres ailes qu'elle ne pouvait sécher pour pouvoir voler avec ses soeurs. Cela ne pouvait continuer ainsi. Elle alla donc en parler à Amiel, le chef des druides. Lui, qui recevait quotidiennement les lamentations avec les maigres offrandes des paysans se rendait bien compte aussi que cette pauvre terre si humide ne pouvait convenir pour faire vivre dignement son peuple. Il fallait implorer les forces surnaturelles du ciel comme celles de la terre et leur demander de l'aide pour changer cette insupportable situation. Amiel prit donc le taureau par les cornes et convoqua les druides de la région en conseil secret dans sa mystérieuse grotte dont l'entrée était cachée dans le tronc d'un grand et vieux chêne. Auroria y fut conviée afin d'éclairer de ses connaissances magiques le conseil. Debout en cercle autour d'un feu revigorant les druides et la fée prièrent puissamment dans une langue seulement connue d'eux. Le sol se mit à vibrer au son de leur forte voix, jusqu'aux feuilles du grand chêne, au-dessous duquel ils se tenaient, qui frémissaient doucement. Une eau cristalline comme celle que décrit dans un poème court Henri-Frédéric Amiel, se mit à couler de la paroi de la grotte et ruissela dans une petite fontaine souterraine. Auroria approcha son visage de cette eau et se mit à implorer : "Ô forces du ciel et des ténèbres, montrez-moi comment sauver ces peuples des terres humides; que ces longues années de froid et d'eau disparaissent enfin pour faire place au soleil". Un hurlement de vent, fort comme en une longue plainte, se mit à sortir de la fontaine et une belle lumière violette envahit la grotte. Et la fée en transes écoutait en fixant cette clarté. Puis tout se tut, il ne restait que le faible mouvement du feu se mourant. La prêtresse reprit alors ses esprits et annonça : "L'oracle de l'eau m'a dit : en unissant vos forces magiques, vous ferez sortir de terre une belle colline entre les lacs et vous lui donnerez le nom de Vully".
Le druide le plus instruit choisit l'endroit le mieux approprié pour placer ce mont et Auroria se mettant en tête des druides, toutes ces doctes personnes marchèrent en procession jusqu'à ce lieu; suivaient comme des fidèles à la messe le petit peuple des Brumes et les habitants des marais, les yeux exorbités devant la magie extraordinaire qui commençait à s'opérer devant eux. Auroria et les druides levèrent leurs mains au ciel pour prier; leurs voix monocordes appelaient les forces occultes de la terre : "Mère nourricière, donne-nous une terre cultivable où nous pourrons vivre heureux; donne-nous des champs riches en humus, des bois où les fruits poussent en abondance. Permets-nous de quitter ces marais stériles et montre-nous la colline sacrée et le soleil". Un formidable bruit semblable à une épouvantable tornade, fait de craquements sourds et de mugissements monstrueux, sortit alors du ventre de la terre; tous les assistants du prodige tremblaient de peur, furent paralysés par ce qui se déroulait, et une colline émergea enfin des entrailles du marais !
Et elle s'élevait, elle s'élevait tout en se couvrant de magnifiques champs fertiles et de forêts aux essences variées emplies de chants d'oiseaux.
Un chemin fut tracé qui en descendait et vint finir sa course aux pieds-même des processionnaires. Tous s'engagèrent sur la voie et montèrent un peu apeurés bien sûr mais irrésistiblement attirés vers cette terre promise où l'abondance égalait la beauté. Et les quelques esprits mauvais qui tentèrent de préserver leur pré-carré furent chassés vers les marais. Par un tour de magie dont Amiel avait le secret un inextricable fouillis d'arbres et de végétation se mit à pousser dans les marais si bien entrelacés qu'aucun esprit ou farfadet n'en pourrait plus à jamais en sortir. Le mont s'allongeait langoureusement entre les lacs; parfois la brume léchait ses pieds mais sa hauteur préservait ses habitants de l'humidité permanente et des hivers rigoureux et glaciaux. C'était finalement un endroit paradisiaque dans lequel ils pourraient enfin connaitre la joie de vivre dans un véritable Eden. Et la vie se développa; les terres produisirent de belles récoltes, on ramassa de beaux fruits; les villages fleurirent ici et là grâce au soleil qui arrangeait tout. Vraiment l'avenir s'annonçait sous les meilleurs auspices.
Amiel put alors réunir tous les druides; avec Auroria ils parcoururent le mont afin de choisir l'emplacement du nouveau lieu de culte. Un gros bloc de granit posé sur le flanc de la colline les intrigua. Ils découvrirent, creusé dans la pierre, un passage étroit descendant dans les entrailles de la terre; ils y pénétrèrent et atteignirent sans mal une grotte semblable à celle qu'ils eurent dans les marais. Et pour remercier l'oracle qui l'avait si bien conseillée, Auroria fit une offrande : elle enchâssa dans la paroi de pierre un anneau d'or serti d'une améthyste qui brillait de la même lumière violette que celle qui brilla lorsqu'elle fut en transe.
Tout étant bien ordonné sur cette nouvelle terre, la vie paisible s'écoula sans fin sous les chauds rayons bienfaisants du soleil; les habitants y prospérèrent, leurs enfants courant dans les bois sous l'œil protecteur des fées. Depuis ce temps l'améthyste brille sans doute dans les entrailles du mont mais nul ne l'a jamais encore retrouvée.