- Lors de la Révolution Française de 1789, l'un des deux ordres dont la situation financière et sociale était la plus contestée fut, comme on le sait, l'Eglise. Les églises représentant le pouvoir religieux des différents niveaux de la hiérarchie ecclésiastique, tout autant que les châteaux symboles du pouvoir civil, eurent à pâtir des affres de ce bouleversement, d'un nouvel ordre des choses qui mit pas mal de temps à se trouver et à se mettre en place; il s'agissait de passer d'un pouvoir ancestral arbitraire et inégalitaire à une certaine égalité des citoyens, ce ne fut pas une mince affaire. Cette époque troublée, souvent arbitraire elle aussi, passa par des étapes d'élans généreux suivis de reprises en main tout aussi vigoureuses dont je ne ferai pas le détail, mais qui occupe encore pas mal d'historiens spécialisés dans cette période majeure. La place de l'église fut contestée, d'abord remplacée par le culte d'un très fumeux Etre Suprême qui ne fit pas long feu, le corps ecclésial le plus ordinaire eut à se remettre en question lui aussi, dut reconnaitre le changement de la société, se plier aux exigences des représentants du peuple comme de celles de sa justice, alors que les plus en vue de la hiérarchie, souvent nobles, ont fui avec leur famille hors du pays. Souvent les plus acharnés des révolutionnaires s'en sont pris aux symboles ecclésiastiques, les bâtiments et objets du culte, ses ornements souvent luxueux, en tous cas de prix. Parmi ces symboles honnis figurent les reliques devant lesquelles se sont agenouillés tant de leurs prédécesseurs : voilà des souvenirs de saints présentés comme des objets insignes de vénération que ne peuvent admettre ces hommes et femmes ivres de liberté dans leurs idées religieuses comme civiles. Comment auraient-ils pu admettre que l'on s'agenouille avec respect devant des morceaux d'os ou tissus, objets divers ayant appartenu à un humain comme eux, alors qu'il fut décidé que l'on ne plierait plus le genou ni devant un prêtre ni devant un noble? Il était facile, de plus, de se débarrasser de ces menus objets : les reliquaires furent ouverts, leurs contenus jetés au vent, un peu comme l'on a ouvert les tombeaux des rois à St Denis, et il est patent de voir que de nos jours si les reliquaires eux-mêmes sont encore là dans les églises, ils ne contiennent plus rien pour la plupart d'entre eux; c'est la même chose pour les restes de nos rois et reines mais là il y avait tant de restes que ce fut plus difficile et que certains purent récupérer quelques os qui furent au retour des Bourbons pieusement enchâssés dans la chapelle royale de Dreux, construite tout exprès.
- La sauvegarde de certaines reliques dans ces conditions relève de l'extraordinaire et la traversée du désert des reliques de St Bernard de Clairvaux, grand personnage précurseur européen, rénovateur de l'ordre cistercien qui essaya précocement mais sans succès de ramener les cathares dans la "vrai foi", est de ce point de vue remarquable. Conservés et honorés à l'Abbaye de Clairvaux ces restes de l'existence du saint qui vécut au début du XIIème S. auraient été confiés, lors des évènements révolutionnaires, selon ce qu'en dit l'auteur de la relation dont je fais état ici, à l'un des moines nommé Frère Césaire, à charge pour lui de les amener au monastère d'Auberive où l'on pensait qu'elles pourraient échapper aux exactions. Mais le pauvre moine ne put parvenir à ce but; bien qu'ayant gardé les reliques en les cachant tout le reste de sa vie, sentant sa mort prochaine comme dit La Fontaine, il en fit trois parts et confia chacune de ces parties à une famille de Moranville, un lieu proche de Clairvaux mais situé dans le diocèse de Langres (et dans le dép. 52 depuis) en remerciement des bienfaits personnels qu'il avait reçu de la part de ces trois familles très pieuses. L'une de ces parts échut à "Claude Sautot, son ami, régisseur du Château de Moranville, excellent chrétien" (selon ce qu'écrivit Mgr Bouange, évêque de Langres). En mourant Claude Sautot la transmit à sa nièce; laquelle laissa le précieux héritage à sa fille Mme Amiel. Et devenue âgée Mme Amiel se souvint qu'aux heureux jours de son enfance elle avait combien de fois vu son grand-oncle entourer ces reliques d'un grand respect et les vénérer avec grande foi; elle-même avait conservé avec vénération ce curieux héritage jusqu'en 1878, époque d'une république apaisée et durable où elle consentit enfin à s'en dessaisir en toute sécurité. Une partie du bien insigne fut confié à la paroisse de Moranville et la majeure partie à l'évêque de Langres pour être déposé au lieu de naissance du saint, au sanctuaire de Fontaines, près de Dijon (21). Ce lieu reçut une côte du saint, un morceau "considérable" de la natte sur laquelle il est mort, un sachet renfermant de la 'poussière' de ladite natte, des parcelles du bois de son lit et des débris d'un ornement sacré qu'il a utilisé.
- Ces très vieux restes furent examinés; les os notamment firent l'objet d'un examen scientifique assez nouveau pour l'époque : la côte du saint était la 7ème côte du côté droit et correspondait à un homme de taille moyenne. Les tissus furent "aisément" dit le texte, rapportés au moyen-âge; l'os possédait de plus cette couleur brun foncé que reconnurent aux ossements de St Bernard ceux qui, bien longtemps avant avaient assisté à l'ouverture iconoclaste des tombeaux de l'abbaye de Clairvaux en 1793. Enfin preuve "incontestable" de son authenticité, poursuit le texte, cette côte fut trouvée, chez Mme Amiel, en 1878, encore entourée d'une "rondelle" en parchemin dans laquelle cet os avait été introduit et qui portait l'inscription De costa Sancti Bernardi et de Sancto Joanno. La dite "rondelle" contenait donc aussi à l'origine, un ossement du saint précurseur du Christ. Or les inventaires du Trésor de Clairvaux, établis bien avant la Révolution, mentionnent dans une statue en vermeil cinq reliques dont une côte de St Bernard et un os de St Jean-Baptiste et le texte de l'inscription comme celle trouvée. En ce qui concerne le morceau de natte aussi confié par Mme Amiel au sanctuaire natal du saint, on vit qu'il mesurait 27cm de long sur 7 de large, qu'il était bien conservé, et qu'il était plié en deux, donc en réalité deux fois plus grand; y était jointe l'inscription Pièces de la natte où est mort St Bernard(en latin bien sûr). Le sachet de "poussière de natte" était lui muni d'un parchemin où était écrit à l'encre Ex pulv...nattae super quam obiit Sanctus Bernardus. De même enfin les parcelles de bois du lit, enroulées dans une pièce d'étoffe verte et bleue, étaient enroulées dans un parchemin indiquant Ex lectulo Sancti Bernardi qui est in reteri monasterio.
Quant aux débris d'un ornement sacré, son examen conclut à une pièce d'une "sorte de tissu brunâtre dans lequel l'élément métallique domine" (sans doute la broderie en fil argenté ou doré). C'est Mme Amiel qui a indiqué que sa famille avait toujours considéré, sans doute par tradition orale remontant au frère Césaire, qu'il s'agissait d'une partie d'un vêtement sacerdotal porté par le saint; et l'inventaire du Trésor comporte un écrin contenant de tels restes.
- L'évêque de Langres reconnut officiellement l'authenticité de toutes ces reliques, prouvées par leur conformité aux inventaires du Trésor de l'Abbaye, en 1879; une reconnaissance qui fut visée par l'évêque de Dijon l'année suivante. Ces reliques furent enchâssées dans un magnifique reliquaire, réalisé pour les protéger grâce à la générosité des fidèles sollicités et l'on y joint d'autres reliques du saint détenues de la même façon par d'autres familles (dont sa tête et sa 'coule', habit religieux). Plus qu'un reliquaire il s'agit d'une véritable châsse avec monstrance reliquaire la surmontant qui fut ainsi réalisée grâce surtout à la générosité première de Mme Amiel qui en fut l'instigatrice; œuvre magistrale d'un artiste orfèvre de Lyon, monumental (1m16 de haut), finement ciselée elle raconte l'histoire du saint en images et en écritures.
- La translation de toutes ces reliques dans cet écrin éclatant donna lieu à de grandes fêtes le 6 Juillet 1881 dans le village natal de St Bernard à Fontaines-les-Dijon. De nos jours cette imposante châsse est déposée au Musée d'Art Sacré de Dijon mais elle revient à Fontaines tous les ans pour la fête du saint début Septembre, pour une journée de pèlerinage honorant St Bernard.
(=> "St Bernard et le château de Fontaines les Dijon. Etude Historique et Archéologique" T. 3 Abbé Chomton; Imp. de l'Evêché, Dijon 1895).
Une autre version de ce qui s'est passé lors de la Révolution indique que suite à la vente de l'abbaye comme bien national, le nouveau propriétaire voulait installer une fonderie dans l'église; mais il y avait encore trois tombeaux qui n'avaient pas été violés ou vidés, comme l'on veut. Ce serait à l'occasion de leur ouverture que l'on aurait trouvé les corps de St Bernard et St Malachie, que les présents se seraient partagé comme talismans ou reliques pour ceux qui étaient restés pieux; des restes aussi conservés dans des églises du coin que l'on aurait retrouvé vers 1875 dans des malles au grenier de quelque presbytère. Je ne pense pas pour ma part qu'il se soit agi des corps de ces personnages sanctifiés, qui, en raison de cette sanctification même n'ont certainement pas été réduits à demeurer ainsi comme les autres morts dans un vulgaire tombeau à même le sol mais portés sur les autels et entourés du plus grand respect comme du plus grand soin. Les multiples inventaires du Trésor en font foi.
Concernant l'identité de Mme Amiel il est possible, voire probable qu'il s'agisse de Mme Alice Amiel, correspondante de Sully-Prudhomme; elle vécut avec son mari Emile en Côte d'Or, à Seurre, au sud de Dijon et mourut en 1881, année de la réalisation de la châsse-reliquaire. Voir l'article page XIXème.