LE COMTE AEMILIUS & SAINTE CELINE parents de SAINT REMI (437 - 533) :
- Le comte Aemilius :
Si Aemilius Comte de Laon ne parait pas, lui, avoir été acclamé comme saint, quoique (voir en fin de §) ce n'est pas le cas de son épouse et d'autres membres de cette famille sénatoriale, de haute naissance de Champagne. Laon était alors le chef-lieu d'un pagus qui dépendait de la cité de Reims et Aemilius "vir nobilis" de Laudunum en était le Gouverneur. Du chef militaire gallo-romain, juge et administrateur du "pagus" ou "comitatus" (comté) entourant largement la cité, il est raconté que sa résidence comtale se trouvait dans un fort que l'on place de nos jours vers l'Hôtel de Ville et le Palais de Justice (restes de remparts retrouvés). Né ~410 mort entre ~458 et ~465, ayant pour voisins ses collègues Syagrius à Soissons et Jovin à Reims, le représentant de Rome à la fin de l'Empire fut parait-il un très bon administrateur, alors que la Gaule romaine connaissait sa fin imminente, submergée par les peuples anglo-saxons qui ne purent désormais être contenus; et ce 1er comte de Laon connu n'eut certainement pas loisir à s'occuper de religion, tâche morale qu'il laissa à Céline son épouse (~415 - ~460); on peut lire ici et là qu'il se serait tourné vers le sacerdoce à la fin de sa vie. On sait par le testament de leur fils Rémi que la famille d'Aemilius possédait de grands domaines fonciers dans le Porcien (actuels dépts des Ardennes, de l'Aisne & de la Marne) autour de Rethel et Asfeld, dans le Laonnois dont l'important domaine de Lavergny, situé près de la voie gallo-romaine principale de la région. Céline quant à elle nous est essentiellement connue par son illustre fils le grand Saint-Rémi (~437 à Cerny-en-Laonnois - 13 janvier 533 à Reims) XVème évêque de Reims ~460 et surtout celui qui baptisa le roi franc Clovis. D'après le Pseudo-Fortunat, Céline, qui, comme son mari était d'illustre famille gallo-romaine, avait épousé dans sa jeunesse le Comte Aemilius, en 435. Et la vie avait passé, beaucoup passé; ils eurent un premier fils dénommé Aemilius comme son père dès 436 semble t-il; un jour un certain Montanus qui était ermite dans les environs du bois de La Fère prédit à Céline, après un avertissement qu'il reçut en songe, qu'elle enfanterait un garçon d'un rare mérite. Voici ce que rapporte le texte : 'Le seigneur a daigné regarder la terre du haut du ciel, afin que toutes les nations du monde publient les merveilles de sa puissance et que les rois tiennent à l'honneur de le servir : Céline sera mère d'un fils que l'on nommera Rémi; je l'emploierai pour la délivrance de mon peuple' . Et, dix mois plus tard Céline enfanta Rémi dans le Palais Comtal d'Aemilius, à Laon.
Une autre histoire le fait naitre dans une ferme de l'Aisne nommée St Emile; cette ferme donnant son père comme saint est située sur la commune d'Ailles; pour certains elle aurait été à Cerny-en Laonnois. Elle appartiendra par la suite au chapitre de la cathédrale de Laon pourtant elle n'est citée dans les textes qu'en 1733 par ce nom; toutefois le lieu même est trouvé en 1536 sous le nom de "Cense de St Amille" dans les archives de Laon et en 1709 comme "Cense de St Emille" dans les archives de l'Intendance de Laon (cf. "Dictionnaire topographique de l'Aisne" A. Matton; Paris, Imp. Nationale, 1871). Aemilius fut parait-il un seigneur très noble et très riche qui mérita les éloges de Sidoine Apollinaire, et fut, mais durant combien de temps ? révéré comme saint avec Célinie; en effet on lit dans un vieux martyrologe français : XIII Januarii, Aemilius Laudunensis Comei, pater sancti Remigii. On ne sait quand il mourut, certains disent en 458, Célinie, elle, décéda vers l'an 460 (F: 20 Octobre). La nourrice de Rémi nommée Balsamie fut elle aussi acclamée comme sainte (cf "Histoire de St Rémi 436-532" Abbé A. Aubert 2ème éd.; Le Roy, Châlons-sur-Marne, 1872).
Que sait-on encore de plus sur ces Aemilii ? Les historiens supposent une parenté avec le "magister officiorum Remigius" qui s'était établi à Mayence dans les années 371-372. La famille se serait installée dans la région de Laon vers la fin du IVème ou au début du Vème S.. Appartenant à la noblesse sénatoriale gallo-romaine il se peut fort qu'elle ait adopté le christianisme qui était déjà répandu dans la vallée du Rhin dès le IIIèmeS. Et il faut dire que ces Aemilii produisirent de notables administrateurs chrétiens de la région; pas moins de cinq évêques en sont issus : outre Rémi (St) qui sera le plus remarquable archevêque de Reims, on compte sur le siège de Soissons son frère Principe (St, + ~505) et son petit-fils Loup (de ~511 à 540), puis encore le mari de sa petite-fille, Genebaud, vers 513, lesquels seront les parents de Larron, aussi évêque du même lieu ~550; son autre fils Agricola sera quant à lui seulement prêtre. On compte, pour ce qui nous concerne, son fils Aemilius de Laon, né probablement ~436 comme déjà indiqué, 2ème "Cômes Lugdunum Clavatum", 2ème comte de Laon, qui épousera Hilaria de Langres (née ~455) et eut Loup cité ci-dessus (né ~475), Hilarius de Soissons (né ~477) et Principia de Soissons (née ~480) qui épousera le 2ème comte de Périgueux nommé Félix. Et l'on ne peut être surpris par cette génération d'ecclésiastiques de rang important; c'était normal alors dans ces grandes familles gallo-romaines rompues à ces habitudes à cette période finissante pour la romanité, tenant dans leurs mains les postes politiques administratifs et religieux.
- La légende dorée de la naissance de Rémi :
Au IXème S. l'archevêque Hincmar de Reims a étoffé ces maigres données pour un si grand homme.C'est lui qui nous apprend que le comte Aemilius eut aussi deux autres fils, Principius et Aemilius (II), ce dernier ayant eu Lupus (Loup) lequel succèdera à son oncle Principius au siège épiscopal (voir 2ème § suivant). A l'annonce du reclus Montanus, Céline ne put que s'étonner d'un tel message car le comte Aemilius comme elle-même étaient déjà assez âgés, en tous cas suffisamment pour ne plus être en capacité d'avoir d'autres enfants. Pourtant Montanus, qui était aveugle, insista devant eux et dit à Céline pour la conforter dans ses annonces : 'Quand tu sèvreras l'enfant, tu me frotteras les yeux de ton lait, et je recevrais la lumière'. Rémi, une fois sevré, mit lui-même, guidé par Céline, un peu de lait maternel sur les paupières de cet homme et lui rendit la vue. Hincmar note quand même que Rémi avait été libéré de tout péché par le Saint-Esprit. Bien qu'il ait été conçu selon ce que l'on disait alors 'dans les iniquités' comme tout un chacun sur la terre sexuellement parlant, mais contrairement à ce qui se passe ordinairement donc, sa mère l'enfanta non dans les délits de la prévarication, mais dans la grâce de la rémission (pourrait-on résumer ces mots par 'non dans le plaisir mais pour la seule gloire de Dieu' ou quelque chose dans ce genre). Et ainsi adoubé par le Ciel notre Rémi put alors rappeler étrangement un certain Jean-Baptiste des Ecritures Saintes (Luc, I, 15) ainsi que bien avant, Isaac (Genèse XVII, 16) c'était bien le moins pour celui qui, le premier, inculqua et imposa au premier de nos rois et instilla ainsi à l'Europe la religion chrétienne dans les sphères du pouvoir pour pas mal de siècles, ce qui fera d'ailleurs de la France la "fille aînée de l'Eglise" !. Comme ses parents il était champenois, né à Laon, on l'appela parait-il Remigius parce qu'il aurait donc à régir, à diriger son église et son peuple, une église ayant à prendre un sacré (!) virage pour 's'adapter' aux nouveaux dirigeants, les Francs, s'imposer donc jusqu'à devenir un autre pouvoir. Certains disent que son nom était plutôt Remedius parce qu'il fut aux siens un remède contre la juste colère divine ou contre la férocité païenne auquel il dut faire face. Enfin, après de brèves mais excellentes études Rémi, dont le nom évoque plus prosaïquement la métropole de Reims proche, voulut imiter la retraite de son modèle Montanus. Il se résolut à se séparer de sa mère comme de son père Aemilius (s'ils vivaient encore), et accomplir sa mission divine, soumettre tout un peuple via son chef et son épouse, à la volonté supérieure du seul Dieu, et surtout des chefs de son Eglise sur terre.
Mais ça c'est une autre histoire....
ST REMI au début de l'HISTOIRE de la FRANCE CHRETIENNE :
Rémi avec l'aide de l'épouse de Clovis parvint à persuader le chef des Franks au baptême et donc à la conversion de tout son peuple; ce fut une chose acquise après la fameuse victoire de Tolbiac en 496 selon Grégoire de Tours. Enfin l'église du Christ allait pouvoir (définitivement) irriguer la Gaule devenue Franke. Rémi, comblé de biens fonciers, progressivement ensuite, consacrera nombre d'églises, érigera nombre d'évêchés dans tout le nord de ce qui deviendra, bien plus tard, la France.
- Des fouilles probantes furent faites à Cerny-en-Laonnois et la légende ou plutôt l'existence merveilleuse de St Rémi se trouve confortée par des données historiques certaines : La Vita Remigii du VIème S. reprise par Hincmar et l'authentique "Petit testament de St Rémi" permettent de suivre l'existence de cette famille de l'aristocratie gallo-romaine et son implantation dans le Laonnois pendant un siècle (de 438 à 530). On y voit que St Rémi possessionnera ses neveux dans la région notamment à Cerny. A Lupus il cèdera un esclave; il semble donc certain que ce lieu fut dans leur biens. De plus le rigoureux chroniqueur rémois Flodoard évoque plusieurs fois Cerny dans son "Historia Remensis ecclesiae". Mais l'indice le plus probant est la toponymie qui a retenu le nom de St Emile près de Cerny. Les fouilles mettront effectivement au jour, là, début 1990, des vestiges de constructions romaines du Bas-Empire soit des IV et Vème S. dont une hypocauste (foyer), un bassin, des murs de villa, une série de silos proches; on trouvera ensuite les restes d'un oratoire mérovingien du VI ou VIIème S. dont l'abside, la base de l'autel, une tour ou clocher, puis d'une autre abside celle-là carolingienne ainsi que des sépultures de la même époque (cf. R. Courtois et Groupe Sources années 1990). Ceci dit St Rémi est fêté tous les ans à Reims, dans la Basilique qui porte son nom, par une cérémonie et surtout un rite particulier : lors de la messe solennelle du 1er dimanche d'octobre, l'archevêque allume les 96 bougies d'une grande couronne de lumière évoquant les 96 ans de vie du patron de la ville.
Et si AEMILIUS avait FUI vers le SUD de la GAULE ? :
Selon plusieurs auteurs on a vu que le couple comtal a eu aussi un Aemilius II, un fils aîné sans doute qui fut pourvu de l'illustre patronyme; en effet il n'est pas pensable que le 1er fils d'une union aussi aristocratique n'ait pas été nommé du nom de son père dont il continue la lignée, bien que la continuité gentilice romaine ait sans doute perdu alors beaucoup de ses règles. Il faut remarquer aussi que tout ce que l'on sait sur cette famille n'est connu que par ce qu'en a conservé l'église et surtout même la tradition de l'église, donc ce qui, parmi ce que l'on veut bien prendre pour vrai, n'altérait pas le sens dirigé de son histoire et celui de l'histoire dynastique franque pour laquelle elle a œuvré après s'en être si fortement rapproché (comme elle le fit avec le pouvoir précédent romain). Ce fils peu connu qui aurait vécu entre 430 ou 440 et 508 aurait été marié à une Hilaria vers 455 (tiens voilà qui peut curieusement nous rappeler les 'Parentalia' d'Ausone l'aquitain, voyez ce nom, heureux hasard !); de cette dame fille d'un Hilarius de Tonnerre, sénateur et patrice (prince) de Bourgogne, noble donc, et richement possessionné dans la région de Langres et Dijon, lui naquit St Loup de Soissons, dont on a vu, qu'en effet, la Vita de Rémi en fait le neveu. Selon le généalogiste actuel de ces vieux temps, Christian Settipani, c'est par la famille de ce dernier que l'on a le 1er duc de Champagne aussi nommé Loup (~525 - av. 595) dont un des fils, Romulf deviendra évêque de Reims en 590; il meurt en ~593 et sera d'ailleurs remplacé par un Amalon à ce poste prestigieux !. Suivent en résumé dans la généalogie proposée St Loup de Limoges (~595 - ap. 637) et un Loup (Ier) qui sera le 2ème duc d'Aquitaine (~635 - 688) auquel succèdera le plus connu Eudes d'Aquitaine (~665 - 735), célèbre pour ses guerres contre les sarrazins et contre les maires du palais et qui sera le seul roi non germanique de l'Europe occidentale en ce temps-là. Ainsi par ses descendants aquitains, qui s'installeront en Gascogne, sur les Marches Pyrénéennes et remonteront la côte méditerranéenne jusqu'à Béziers, dont un Antoine deviendra le tout 1er vicomte (~790 - ap. 845) on parviendrait aux Aemilii bien connus entre Garonne et Rhône au Xème S. Bizarrement l'HGL avec Dom De Vic le donne pour le fondateur de l'abbaye de Lézat (voir partie haut moyen-âge) ainsi que celle de Mas-Grenier. Mais le savant bénédictin peu sûr de lui peut-être indique que le Père Mabillon son confrère bénédictin et savant, rapporte cette fondation ariégeoise au Xème S. selon une notice remaniée de la fin du XIème S.; c'est ce qui a été retenu de nos jours (voyez les développements à ce sujet page haut moyen-âge). Ceci pourrait-il expliquer l'extraordinaire diffusion parmi l'église d'abord puis parmi les nobles régionaux du nom Amelius ? ! Il est vrai que Amelius II évêque d'Uzès (~865 - 915) reçoit en 896, 903, 911 de Louis L'Aveugle, roi de... Bourgogne, des donations et la seigneurie de.... St Rémy de Provence, domaine qui fut la propriété de l'abbaye de ........St Rémi de Reims ! qui l'avait reçu de Clovis (par l'entremise de St Rémi ?), voilà beaucoup de coïncidences qui sont ici bien plus que d'heureux hasards! Dans la descendance de cet évêque certains historiens généalogistes mettent par ex. Aemilius Simplicius (~875 - 908) comte du Comminges dont la descendance s'essaimera dans toute la région entre Garonne et la Méditerranée. C'est depuis ce noble seigneur possesseur d'une grande partie de ce territoire que l'on parviendra enfin aux Aemilii proches des Comtes de Carcassonne et Toulouse et à Lézat, fondé en vérité vers 940. Pour ma part je ne pense pas qu'il soit probable que les Aemilius du haut moyen-âge ariégeois et languedocien doivent être vus comme des lointains descendants des Aemilius de Laon car le nom fut déjà bien présent chez les gallo-romains dans cette région et qu'il y a tout lieu de penser qu'il s'y est maintenu via les wisigoths ou revenu sous Charlemagne; à moins qu'il faille invoquer la fuite des nobles gallo-romains du nord vers le sud devant l'emprise franque ....?
Car c'est bien aussi une éventualité pour ces notables qu'ils aient préféré fuir plutôt que courber la tête devant les barbares franks ! Cette possibilité fut dans l'air du temps, car comment auraient-ils pu conserver cette parcelle latine et romaine dans l'océan de l'invasion franque ? Alors que tout se gâte au-dessus de la Seine pour la belle romanité pluri-séculaire autour de l'an 500, l'avenir des grandes familles administratrices et nobles en tant que romaines mais aussi en tant que chrétiennes est incertain parmi ceux perçus comme des barbares (ce qu'ils étaient !); l'efficacité de Rémi ne fut sans doute pas une chose acquise en si peu de temps. Il faut savoir que la région autour de Laon et Reims fut la toute dernière enclave de l'Empire, ce que l'on appela le royaume d'Aegidius et de Syagrius (457 - 486) ou royaume de Soissons au moment où Aemilius fut comte de Laon. Bien que l'on ait pu assister à la fusion des élites gallo-romaines avec les barbares francs entre les V et XIIèmes S. (donc après une longue période quand même) parce que les élites gallo-romaines étaient compétentes mais aussi parce que le rôle de l'église latine en elle-même "triomphe d'une caste aristocratique romaine" (R. Fossier) put prendre avec eux une très grande place, il semble certain donc, et les Aemilius en sont un exemple possible, qu'une certaine panique ait pu faire refluer la majeure partie de la noblesse sénatoriale au sud du pays (cf. La fusion des élites gallo-romaines et barbares V-VIIème S. Encyclopaedia Universalis), peut-être parce que la suite dans un cadre resté éminemment latin sur tous les plans y semble pour eux assurée et que ce cadre protégé puisse y rester longtemps la base de la conception de la société civilisée. Je pense pour ma part que cette possibilité est surtout le fruit de cogitations d'hommes du nord accommodant l'histoire à leurs fins, désireux d'imprimer coûte que coûte une emprise précoce de gens du nord sur le sud roman, lequel verra bel et bien sur ce socle latin l'éclosion d'une culture enviée alors dans toute l'Europe, dont je ne peux voir les prémices venant du nord; mais ma médisance habituelle envers la culture du nord de la France m'aveuglerait-elle ?