De nombreux personnages nommés Amelius sont protagonistes de donations dans l'ouest du Comté de Carcassonne au Xème S. (actes de Valsiger);
Hélène Debax, historienne, professeur en histoire du moyen-âge à l'Univ. de Toulouse II; "Le territoire d'une principauté : les comtes et les comtés de Carcassonne (vers 940 - 1060)" note 12 p.3 sur Amelius Dei vicecomes
NB : Il est question ici de Montolieu et de son abbaye; il faut préciser que la cité de Montolieu n'est nommée ainsi que depuis 1146; auparavant ce village se nommait Malast. L'abbaye bénédictine de ce lieu a été créée en 800 au lieu-dit Valsiger; j'utilise le nom générique d'abbaye de Montolieu pour la citer.
Les relations et conflits entre les familles gouvernantes méridionales sont ténues durant tout le haut moyen-âge. Les Comtes de Carcassonne semblent proches au milieu du Xème S. de ceux du Rouergue et donc en conflit avec ceux de Toulouse (dont Raymond IV) suite à l'assassinat avant Sept. 961 sur la route de Compostelle, du propre comte en titre de Rouergue. L'on trouvera près de ces comtes carcassonnais notamment les Aton et les Amiel. L'un de ces Amiel sera d'ailleurs (vi)comte de Carcassonne vers le milieu et dernier quart de ce Xème S. ; il peut s'agir du même personnage nommé, dans d'autres actes de la même époque, Arnaud; il pourrait tout à fait être le fils de cet Amelius Simplicius que l'on croise ici et là, lui ou ses fils et descendants, dans le Carcassonnais, le Toulousain, en basse vallée de l'Ariège ou encore en Comminges. Le siècle suivant verra l'émergence de la dynastie Trencavel qui sera au XIIIème S. celle qui devra affronter la Croisade contre les Albigeois, la plus connue et la dernière.
LES AMELII et les VICOMTES DE CARCASSONNE :
- Les comtes de Carcassonne au IXème S. :
Des comtes (puis vicomtes) sont mentionnés à Carcassonne depuis le début du IXème S. Une charte du vicomte Sicfred datée du 24 février 883 parle déjà d'un Amelio : "Emmenardus ...filius quondam genitore meo...Amelio" (HGL, T;V, Preuves... 5, col.72). C'est grâce aux chartes comtales en lien avec les abbayes nouvellement créées par Charlemagne et les carolingiens en général que l'on peut retracer l'histoire des pouvoirs comtaux dans les pays d'Aude. Plusieurs familles se succèderont à la tête du comté puis vicomté de Carcassonne; les comtés locaux de cette époque n'étant au point de vue royal que des rouages sur place du vaste empire carolingien en attendant l'âge féodal pleinement installé dans lequel les pouvoirs régionaux vont vraiment s'imposer.
Bien que les premiers comtes soient très mal connus au début de ce IXème S., il est évident que, par leurs noms, ils sont à rattacher à des familles wisigothiques (Sicfred cité au début est un nom wisigoth) tout comme les dignitaires des abbayes. Leur pouvoir réel est peu documenté, sans doute comme tous comtes carolingiens avaient-ils la charge de la gestion du fisc, de la justice et de l'ost mais aussi de la délimitation des territoires entre villae. La dynastie régionale des Amelius tiendra dans ce cadre la main sur l'abbaye de Montolieu entre la fin du IXème S. et la moitié du Xème où l'un d'entre eux comme on va le voir se dira vicomte du Carcassés. C'est alors qu'apparaîtront les comtes de Carcasses-Razès parents des ducs d'Aquitaine et des comtes d'Auvergne, on verra aussi pourquoi. En Razès on peut voir également par leurs noms un renvoi à ce conglomérat familial est-pyrénéen où se mêlent des magnats wisigoths. Les puissances régionales comme royales se disputeront ensuite ces territoires sis entre Toulouse et Narbonne dès la fin de ce même siècle.
- Les vicomtes de Carcassonne au Xème S. et les Amelii :
L'histoire de ces potens est moins facile à suivre que celle de la famille postérieure des Trencavel. Une charte du vicomte Sicfred datée du 24 février 883 parle déjà d'un Amelio : "Emmenardus ...filius quondam genitore meo...Amelio" (HGL, T;V, Preuves... 5, col.72). On a beaucoup de renseignements sur eux jusqu'en 928-934; une lignée issue d'Oliba, au siècle précédent, disparait même; on voit dans une dernière charte les concernant qu'ils font un legs important à l'Abbaye de Montolieu de nombreuses terres. La succession sera sans doute disputée avec les autres comtes méridionaux. "Aucun comte n'intervient alors plus à Montolieu qui est désormais protégé par une dynastie qui porte préférentiellement le nom d'Amelius, dont un membre se dira Vicomte du Carcassès, dans la 2ème moitié du Xème S." concluent les historiens, ce que nous verrons un peu plus loin. Il y a donc un trou jusqu'au milieu du siècle; le comté sera pendant cette période directement dirigé par les comtes de Toulouse; l'HGL (T. V, Preuves... n°111, col. 240) indique par ex. qu'en 961 le testament de "Raymundus comes", il ne peut s'agir que d'un comte de Toulouse, donne des alleus "alodes qui fuerunt Amelio vicecomite de Carcassona...in Narbonense". Evidemment les comtes toulousains auraient bien continué sans doute à s'occuper des affaires audoises s'il n'y avait eu les ducs d'Aquitaine-Auvergne, lesquels ne l'entendirent pas ainsi, notamment et justement pour Montolieu. Ils auraient envoyé sur place l'un de leurs lieutenants, un Roger, dont on peut d'ailleurs supposer qu'il était marié à l'une des membres de familles du sud-toulousain et de l'entourage des incontournables Amelius. C'est alors qu'apparait le Comte Arnaud, frère de ce Roger (nom qui deviendra insigne dans la dynastie des Trencavel), dont l'épouse, la Comtesse Arsinde, accouchera d'un petit Roger II; cet Arnaud (nom qui deviendra celui des comtes gascons) sera l'un des bienfaiteurs de l'abbaye de Lézat. Selon Latour ("La dynastie Amelius X-XIIème S" in Revue du Comminges 2003 .p.417) Aton Amelius, fils de l'ancêtre Aemilius Simplicius, cité dans un acte de Lézat (fin Xème S) a pu être le frère de Guilhem Amelius qui sera marié avec une fille de ce comte carcassonnais Roger dit le Vieux, Ermengarde, lesquels sont peut-être les parents de Raimon Guilhem (HGL t. V, p.743; "Cartulaire de Lézat" acte 577, publié par Ourliac & Magnou) lequel se nommera "marches" (marquis) vers 1010-1025 (Latour, op. cité p.410).
- Les Amelius audois et leurs liens régionaux: Ils ont été les bienfaiteurs de l'installation religieuse à Montolieu depuis le tout début du Xème S. Des chartes de 902, 906, 908 portant leur nom sont citées par Mahul (T. I, p.74) et par l'HGL, T. V (voir plus loin). Et c'est dans la 2ème moitié du même Xème S. que l'on trouvera aussi la trace....d'un Vicomte carcassonnais du nom d'Amelius. Il est probable que cet Amelius fut d'origine wisigothe; de son temps et après lui des hommes au nom wisigothique interviennent dans la région de Carcassonne, à Montolieu ou sont donateurs à l'abbaye de St Hilaire. Le titre de comes et vicecomes (comte, vicomte) est à l'origine une dignité romaine créée au bas-empire (Aemilius père de St Rémi fut comes de Laon dans la 1ère moitié du Vème S.); elle a été simplement reprise par la féodalité naissante. Par les actes de Lézat dont une donation de 944, le monastère ariégeois de la Lèze sera aussi dans leur influence (voir ce sujet). Il est donc évident que les Amelius carcassonnais sont liés familialement avec les Amelius ariégeois et commingeois, avec cet Aemilius Simplicius père qui en est l'ancêtre et que l'on a rencontré souvent. L'HGL (tome V p.229 note 959) indique aussi qu'après l'assassinat du comte de Rouergue sur le chemin de Compostelle entre son pays et Toulouse avant sept. 961, les conflits régionaux furent ranimés et que les Amelius rouergats se placèrent du côté de Roger de Carcassonne, conjointement avec les Atons; ces Amelius rouergats se mettaient ainsi du côté de l'héritier désigné dans le testament du défunt comte.
Mais revenons à Arnaud frère de Roger dit le Vieux, comte de Carcassonne en 945 et bienfaiteur de Lézat; une autre donation, cette fois à l'abbaye de Montolieu, en pays d'Aude, faite en 949, cite parmi les souscripteurs encore un Amelius, dont on dit qu'il fut son demi-frère, sans doute s'agit-il de cet Amelius qui deviendra vicomte de Carcassonne. Et une 3ème fois, dans une autre donation à Lézat mais sans date, qui fut faite cette fois par un certain Amelius Rodrando en présence d'une assemblée de notables, dont le Comte Arnaud, Radvens, un rare nom rencontré dans l'entourage de Lézat, et....un Amelius Simplicius un nom qui décidément est toujours présent.
Le Vicomte de Carcassonne Amelius, qui fut peut-être pourvu à cette dignité éventuellement par le comte Arnaud avant son décès ou par la comtesse Arsinde, sera mentionné à plusieurs reprises alors après ce milieu du Xème S. Il est particulièrement identifié sur la pierre de dédicace d'une nouvelle chapelle dédiée à St Michel de l'église de l'abbaye de Montolieu, appelé alors Malast. Cette inscription découverte au XVIIIème S. lors de travaux, (perdue de nos jours mais on en a un dessin) ne mentionne que l'abbé constructeur, Tresmirus (qui a été le chef de cet établissement entre ~949 et 981) et "Amelius nutu Dei Vicecomes" soit Amelius vicomte par la grâce de Dieu; sans doute fut-ce là son lieu de dévotion et peut-être de sépulture; c'est une chose rare en tous cas que de voir ainsi indiqué à cette période un vicomte "par la grâce de Dieu", cette mention fait de lui l'un des tout premiers attestés en Occident ! Or on sait par ce qu'en ont cité Mahul, l'érudit carcassonnais, pour un acte de 902 (T. I, p.74), et l'Hist. Génér. de Languedoc pour des actes de 906 et 908 (T. V, p. 113, 119) que les Amelius dont il descend directement sans doute sont très présents depuis le début de ce Xème S. dans la région de Carcassonne. Dans la charte de 908 Amelius est cité avec l'abbé Boson, un nom qui renvoie ici aux lignées vicomtales de Béziers (qui intégrera le domaine de ceux de Carcassonne) et comtale de Provence (et à un évêque du bas-Languedoc). Dans le même temps on trouvera aussi un Amelius archidiacre du Carcassès entre 910 & 925 (cf. Mahul, T.I pp 74 & 76). Il est vraisemblable que tous ces Amelius, du Comminges à la Provence, de l'Albigeois aux Pyrénées, sont tous liés dans un vaste regroupement familial qui transcende les limites des comtés, et qu'il intervient à cette époque dans toute la région, surtout de l'Ariège au Carcasses, voire en Catalogne, dans l'ancien territoire de Septimanie en général et jusqu'en Provence. Dans le Bédérès (région de Béziers) les premiers du nom ne sont cependant repérés qu'à la fin du Xème S. : en 983 à Sérignan (cartulaire du chapitre cathédral de Béziers, Livre Noir, n°44, p. 44-46); en 991 toujours dans ce même Livre Noir à propos de la même villae de Sérignan; en 1010 par un signum (signature de témoin) à l'acte de "réparation" de Ricardus fils de Radulfus (d'Aumes). Finalement on voit qu'ils sont déjà dans toute la région de présence encore de nos jours de notre nom Amiel, mais ce n'est qu'une simple constat !
Et quand Lézat en est une sorte de plaque tournante, du moins par les actes : Son fondateur du nom d'Aton Benoît fut d'après les historiens, le fils du vicomte de Toulouse Benoît, lui-même neveu de l'auvergnat Géraud d'Aurillac. Et l'épouse de cet Aton fut une certaine Amelia, elle est citée comme co-fondatrice; son nom la rattache bien sûr aux Aemilii ou Amelii de la région. Et n'oublions pas pour finir que cette fondation fut mise sous la protection des Comtes de Carcassonne et d'un ...Amelius Simplicius !
Finalement quand la nouvelle dynastie des Arnaud-Roger, les Trencavel, arrivent à la tête de la vicomté carcassonnaise, elle dispose de forts réseaux régionaux. D'abord sous la tutelle des comtes de Toulouse, les comtes de Carcassonne seront ensuite en lutte avec eux car ils voulurent s'en émanciper. Et l'on sait que ces nouveaux potens locaux carcassonnais ont conservé des liens avec la dynastie comtale précédente dont on a parlé : les noms de leur entourage dont des Amelius nous le prouve. On pourrait encore citer à l'appui de ces affirmations leur proximité fournie par la contiguïté des villae de Ste Eulalie et Villesèque (lande de nos jours) près d'Alzonne, de Montolieu et..de Carcassonne : Villesèque fut donnée en 908 (HGL T.V n°33, c. 119-121) à l'abbaye de Montolieu par Amelius qui la tenait du roi Charles, fils de Louis; Ste Eulalie fut donnée à la même abbaye par le couple comtal en 949 (HGL T.V, n°89, c. 207-209) et dans cet acte signe un ...Amelius !
(=> "St Hilaire, St Saturnin et Roger. Un réseau guilhelmide dans le Comté de Carcassonne au Xème S." H. Debax & F. Ponties, hal. Archives Ouvertes, 2010; "Héritages du haut moyen-âge : Les comtés vers l'an Mil" partie 1 de "Les comtés de Carcassonne et de Razès et leurs marges (IXème - XIIème S)" H. Debax in Bulletin de la SESA 2007, pp. 16-28; "Genèse des lignages méridionaux" T. I "L'aristocratie languedocienne du X au XIIème S." Cl. Duhamel-Amado, CNRS Univ. Toulouse le Mirail, 2001).
Enfin, toujours à propos de Lézat, un certain Raimond Guillaume apparait dans son cartulaire à plusieurs reprises durant la 1ère moitié du XIème S. Il semble être le fils d'un marquis Guillaume, lequel était de la famille des Amelii, que P. Ourliac (in "La réforme grégorienne à Toulouse" p. 56 et "Introd. à la publication du cartulaire de Lézat" p. XLVI-XLVIII) apparente à celle des Toulouse-Rodez; selon H. Debax, ces Amelii seraient aussi liés aux comtes de Carcassonne (cf. "Structures féodales..." n°12, p. 36). Et si l'on en croit la revue des Annales du Midi (vol. 108, n° 213 à 216, p. 171, Privat, 1996) qui se pose la question de savoir qui fut l'épouse inconnue du marquis Guillaume Amelius, qui nous dit en passant qu'il était fils de Amelius Simplicius et d'Elizabeth, mère de ses deux fils Bernard et Raymond, il se peut fort que cette dame ait pu être la fille du vicomte Roger de Carcassonne et de la belle Adélaïde son épouse, premiers représentants connus de la nouvelle et dernière dynastie des vicomtes carcassonnais, et qui vécurent à la fin du Xème S. ! Les bénédictins défricheurs de l'Histoire Générale de Languedoc s'étaient déjà posé la question et pour eux aussi cette épouse inconnue aurait pu en effet être Arsinde, vicomtesse de Béziers, fille aînée du couple comtal; née probablement vers 970-975 et mariée avant 990 ! (cf. HGL vol. V n°184, col. 379-381)
